Révolution industrielle à la mine de Bosberty Anzat-le-Luguet 63
Une insolite composante
métallo-minière à la grandeur
de la “Révolution industrielle”
à BOSBERTY
dans le pays de BLESLE 43 et d’ANZAT-Le-LUGUET 63
Mots-Clés :
Révolution industrielle, fonderie, Arsenic, Mispickel, Tungsténite, Baubertie, Cézalier.
Reconnaissons que l’accord de ces deux mots “Révolution industrielle” est fort en soi et inspire beaucoup de réflexions. A cet égard, nous nous devons de rappeler quelque peu le sens du mot “Révolution” suivi de celui “Industrielle” qui, par ailleurs, prennent l’un et l’autre toute leur signification dans la présente note.
De ce fait, l’existence d’une Révolution industrielle passe globalement par les changements des sociétés et des économies préindustrielles. Dans le mot “Révolution”, nous sommes bien loin du sens de bouleversement, démolition d’une société en place ; il met ainsi l’accent sur l’ampleur et sur l’intensité du phénomène. L’expression “Industrielle” prévaut plutôt la reconstruction ; d’ailleurs, une “Révolution industrielle” réussie implique un processus général de croissance, une économie monde ouverte.
3 Les Changements des Sociétés :
La Croissance Démographique - l’Eveil des Nations - les Facteurs Institutionnels : politiques et religieux - les Couches Sociales Nouvelles - les Nouvelles Idéologies - les Mouvements Ouvriers - la Législation du travail - le Bouleversement de l’Organisation du travail par l’application du système Taylorien et de l’automatisation. L’allongement démesuré de la journée de travail dans les manufactures dû à l’installation de l’éclairage au gaz et de machines. - le Paternalisme, le Christianisme Social, les Logements Sociaux liés aux usines et aux mines (phénomène d’expansion des villes industrielles hors des enceintes traditionnelles) - les Premières Coopératives Ouvrières - le Rôle de la Science et de l’Education. Pour ainsi dire, la “Révolution industrielle” devait contribuer au développement d’une nouvelle mentalité, une nouvelle identité sociale et de nouveaux comportements, dont le retour du thermalisme.
4 Les Economies Préindustrielles :
Le “Charbon de Terre” devient une source d’énergie recherchée - la Révolution Technologique - la Révolution Manufacturière - la Révolution des Transports : Chemins de fer, Messageries Maritimes, Canaux - l’Economie à une Forme Monétaire - le Capitalisme Conquérant - la Concurrence des Marchés - la Croissance désormais fondée sur le progrès de la productivité - les Progrès Agricoles - la Montée Rapide de la Courbe des Inventions.
Il était nécessaire de définir rapidement, avec objectivité et réalisme, le concept fondamental de la “Société machiniste” qu’apporta la Révolution industrielle. Bien qu’inégale, cette révolution fut un phénomène mondial entre les années 1760 et 1870 où, bien souvent, apparut une simultanéité dans l’invention des procédés de la métallurgie. A l’évidence de la Révolution industrielle, dirons-nous encore, émergea une “Science sociale” conséquente des bouleversements qu’apportèrent les activités minières et métallurgiques considérables en France et en Europe Centrale. Ainsi l’étude se rapportant à l’exploitation de la petite mine de Bosberty, qui nous intéresse plus particulièrement dans cette note, se situe dans ce contexte économique et sociologique qui, par ailleurs, en est un micro-événement.
Nous laisserons, bien volontiers, les historiens spécialisés dans la “civilisation matérielle” s’employer au “décryptage” de la multiplicité des facteurs qui ont déterminé cette transformation radicale et complète de la société agraire vers la société matérialiste. Parfois, certains de ces historiens seraient tenté de remettre en cause le concept même de Révolution industrielle pour faire remarquer que l’industrie aurait eu des heures de prospérité aux XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles. Cela précisé, il est cependant communément établi que, pour la “dernière” Révolution industrielle, ce furent les “marchands-fabricants” des villes, qui ont été les principaux agents.
Le processus d’industrialisation passera nécessairement par des différences environnementales ; en règle générale, il a concerné de vastes régions et s’est implanté près des bassins de production urbains. Il s’est parfois aussi marginalisé, jusqu’à atteindre des terroirs de montagne, renfermant de providentielles matières premières, modifiant quelquefois l’équilibre Socio-Economique de certaines contrées. Le pittoresque espace naturel du Cézallier, amplement déployé dans le Massif central français, a connu cet exemple car bien modeste fut l’exploitation, notamment celle de la mine et de l’usine métallurgique de Bosberty.
Le Cézallier est à l’écart de tous les grands axes routiers ou ferroviaires traversant le Massif Central. Région charnière entre les grands volcans des monts Dore au nord et du Cantal au sud, c’est un vaste plateau pentu vers l’est et le sud-est qui culmine à 1551 mètres au signal du Luguet et où l’altitude moyenne est de 800 mètres. La plus grande part de sa superficie : 600 km² est couverte d’une chape de roches volcaniques, marquée, ici et là, de stries glaciaires témoignant des périodes climatiques majeures du Massif Central.
Ainsi peut-on se définir le Cézallier comme un massif d’une altitude le plaçant à un étage dit subalpin avec ses pâturages ras, d’une allure très découpée puisque l’érosion des glaciers à l’époque Quaternaire devait en sculpter profondément ses flancs, creusant des cirques et des vallées, à présent profondément entaillées par des ruisseaux. La rudesse du climat y est grande, la vie y est tout aussi difficile, les vents sont violents et de longs enneigements sont présents ; ainsi cette région prend à nouveau un paysage “glaciaire” pour de longs mois, puisque la neige arrive tôt à l’automne et disparaît vraiment fin avril. Pendant cette période hivernale, le pays devient une zone de ski nordique, notamment à Parrot où tout a commencé il y a une trentaine d’années, au mérite d’une équipe de jeunes copains du Brivadois, dont l’actuel maire de Brioude *. Un printemps gracile revenu, la nature est riante et s’offre à nouveau comme ressource touristique avec des sentiers pédestres parmi lesquels on peut emprunter celui dit des “Vaches Rouges” où il est possible de découvrir en tous sens les “Hautes Terres”, où les autochtones sont accueillants. L’isolement et la dureté de vivre au pays développent certainement le sens de l’entraide et de la convivialité.
Région humide dont la structure principalement agro-pastorale se justifie par ses très vastes prairies naturelles, l’image de “Montagnes à Vaches” tombe sous le sens par sa production de viande et de lait dont des laiteries transforment une partie en fourme, délicieux fromage voisin du cantal, fabriqué il y a encore peu dans des burons en plein alpage. Ces espaces herbacés, exploités l’été seulement, ne laissent que peu de place à des bois de petits chênes, de hêtres et de pins. En fait, cette contrée montagneuse nous offre, dans tous ses détours, des paysages saisissants où l’on ne voit que le ciel et la terre.
La toponymie, de Bosberty ne semblerait pas ici avoir, comme beaucoup de localités, une racine gauloise, mais elle aurait seulement subi une évolution phonétique au XIXème siècle : “bos” proviendrait de bois et “berty” reviendrait à petit, autrement dit la traduction de “petit bois” nous paraît la plus évidente, d’autant plus que ce hameau de trois feux est effectivement localisé non loin d’une forêt de résineux. Ce hameau était autrefois orthographié : “Baubertie”, notamment du temps de l’activité de sa petite mine. Ainsi, dans la présente note, nous conserverons, sans que cela ne puisse nous paraître absurde, son ancienne orthographe.
Baubertie est un lieu-dit, géographiquement placé sur la commune d’Anzat-le-Luguet dans le Puy-de-Dôme, à l’extrémité sud de ce département du pays “Arverne” et à la limite des départements de la Haute-Loire et du Cantal. Eloigné de 70 kilomètres de Clermont-Ferrand, Baubertie demeure d’une expression architecturale typique, avec des fermes qui rassemblent tous les éléments sous le même toit : l’habitation, l’étable et une vaste grange pour entreposer le foin destiné aux longs hivers. Ce sont des maisons dites “ bloc à terre” qui réunissent, donc, les bêtes et les hommes et qui sont construites en pierres du pays : mélange de roches métamorphiques grisâtres et de lave noire qui sont l’une et l’autre des matériaux conformes à la géologie du milieu naturel. Ces constructions ne manquant pas de charme sont d’une rusticité s’incorporant magnifiquement dans le paysage.
En remplacement des anciennes couvertures de chaume, dont les deux grands ennemis étaient le vent et le feu, quelques toitures sont recouvertes de lauzes en gneiss et d’ardoises, ou encore d’un matériau de construction moderne ultra léger : de la tôle ondulée. En dépit de cela, nous l’avons dit, l’environnement a, quand même, conservé un certain cachet de son authenticité. Dans la fin du siècle dernier, les chaumières formaient la totalité des habitations ; à présent, seulement les pignons des murs dit en “redan” en gardent le souvenir, ce que l’on peut observer à l’entrée du hameau sur une maison en état de ruine depuis que, un après-midi de l’été 1963, le “feu du ciel” dévastateur et meurtrier d’un phénomène orageux a accompli son œuvre apocalyptique. Cette bâtisse avait-elle dans ses fondations une bouteille pleine d’eau bénite, comme le voulait la tradition dans les campagnes, au siècle dernier encore, afin de se protéger de la foudre ?
L’étendue du pays Cézallier s’est réalisée sur un socle essentiellement métamorphique, composé de Gneiss et de Micaschistes. Ces roches ont été soumises à une tectonique tangentielle de régimes compressifs, distensifs, chevauchants, suivis d’épisodes cassants. Suite à ces mouvements d’abaissements et de basculements, ces arrangements géologiques constituent un trait marquant dans la structure actuelle du Cézallier, amplifiés par les actions érosives des épisodes glaciaires, qui ont recouvert les régions voisines des monts Dore et du Cantal. Une particularité géomorphologique d’ensemble offre de grandioses paysages, avec d’immenses plates-formes et des inversions de relief résultant de l’englacement et de l’érosion de roches d’inégale résistance, qui ont profondément marqué ce territoire en “pays coupé”, donnant des reliefs contrastés, émerveillant toujours l’observateur, surtout lorsque les coulées se terminent en hautes falaises, comme c’est le cas dans la vallée de l’Allagnon où se dressent parfois des orgues basaltiques.
Les mécanismes structuraux se sont joués depuis l’Orogenèse Hercynienne, il y a 400 millions d’années ; les phases tangentielles majeures seraient du Dévonien inférieur pour prendre une moins grande ampleur à l’Oligocène, il y a 30 millions d’années. Les périodes glaciaires sont d’un quaternaire, assez proche dans le passé.
Nous avons souligné un trait géologique particulier et majeur du Cézallier, que sont ses immenses étendues volcanisées, mises en place à partir de la fin du Miocène, soit 8 millions d’années auparavant et qui se sont poursuivies jusqu’au Quaternaire récent, allant de 250 000 ans à 150000 ans d’aujourd’hui. Les manifestations éruptives sont principalement d’âge Plio-Quaternaire, il y a 4 à 2 millions d’années. L’évolution volcanologique du Cézallier est celle d’un strato-volcan à phases complexes, c’est-à-dire avec une ardeur de cônes stromboliens et avec des cratères explosifs du type Maar, occupant le tiers de l’unité de cette province volcanique. Sa magmatologie est tout aussi diversifiée : Basaltes, Basanites, Trachytes, Phonolites. Ce sont des coulées qui se superposent, se juxtaposent, au point que cette imbrication de laves rend les contours de ce massif difficilement reconnaissables des émissions des autres bords externes des monts Dore et du Cantal.
Le Cézallier n’est pas précisément d’une vocation minière, sa considérable couverture volcanique masque certainement des filons minéralisés. Dans le socle cristallin de ce terroir montagneux, nous recensons seulement cinq anciennes mines : à Fournial pour de la Galène-Argentifère, à Vèze pour du Mispickel, à Conche pour de l’Antimoine, ainsi que la mine de Vins Bas, dite de La Forge sur le territoire de la commune d’Anzat-le-Luguet et enfin la mine de Baubertie présentement relatée.
Le secteur minier du Cézallier correspond aux limites septentrionales de l’important district de Brioude-Massiac et recèle principalement des filons minéralisés en Antimoine, où dans ce “Royaume de la Stibine”, on en dénombre un peu plus de deux centaines qui se répartissent sur une étendue de 600 Km². Ce district principalement exploité sur près d’un siècle, de 1850 à 1930, sera octroyé à 22 concessions minières, assurant, ainsi, une production importante de 40000 tonnes d’Antimoine.
Comme il a été mentionné, le district minier Brioude-Massiac se caractérise par un considérable réseau filonien, lequel n’est pas pour autant une simple unité métallifère d’Antimoine. Mais nous ne rentrerons pas dans le détail de ces zonalités métallogéniques et des interprétations polymétalliques qui pourraient s’en dégager, car les minéralisations et les processus minéralisateurs y sont fort complexes.
Si, dans l’ensemble, les remplissages métallifères se sont déposés dans des fractures correspondantes à la dernière phase cassante de l’Orogenèse Hercynienne, il en a cependant résulté, pour certaines minéralisations, des filons télescopés entre initialement ceux à sulfure donc à Antimoine et ceux à sulfosels du type Bournonite-Semseyite. Nous ne procéderons pas plus longuement à une analyse de fond des liaisons génétiques dues à des successions qui réunissent plusieurs éléments : l’orientation des fractures, la nature des terrains encaissants, le gradient thermique, lesquels, les uns autant que les autres, durent affecter, dans le temps et l’espace, les cycles minéralisateurs.
A propos plus spécialement du filon de Baubertie, il est à considérer de haute température, puisqu’il se caractérise par une abondance de Mispickel, ce qui pourrait spatialement le situer en liaison avec un corps granitique instructif, probablement mis en place à la fin de l’ère primaire. Néanmoins ici encore, les relations entre le gîte lui-même et les éléments du cadre géologique ne sont pas aisées à établir. De plus, sa paragenèse s’élabore d’une minéralisation conforme, pour des filons de hautes températures se rapportant au cadre local, avec notamment de la Wolframite et de la Scheelite, laquelle est à Baubertie sous forme de traces, alors que ce Tungstate de Calcium est, par exemple, plus fréquent dans la contrée voisine des mines Aurifères de Bonnac. A noter encore de la Cassitérite et de la Stannite, minerais de l’Etain, qui apparaissent d’une façon un peu plus abondante. Enfin, pour ce qui est de la gangue de ce gîte, elle est, à la fois classiquement et essentiellement, pour ce type de filon, de quartz incolore massif.
Les vestiges de la mine de Baubertie ne s’imposent pas dans le paysage d’un cliché classique, comme nous connaissons certains bassins de production charbonnière : avec leurs terrils, leurs corons et leurs chevalements que l’on aperçoit de loin. De cette petite exploitation qui n’eut qu’un intérêt local, mais qui eut, cependant, le mérite d’exister à l’avènement de la “Révolution industrielle”, il n’en subsiste qu’une petite halde de couleur jaunâtre et dénudée, conséquente de la corrosivité des sels Arsenicaux, ne paraissant toutefois pas poser un problème particulier à l’environnement. Ces déblais miniers forment un petit monticule clairement visible nous rappelant les “drumlins” de modelé glaciaire, comme on en trouve dans les pays scandinaves.
Un puits effondré en cloche renversée et la lourde embase de fonte de l’ancien treuil marquent seulement l’emplacement de la mine, située à 300 mètres au sud-ouest de Baubertie. L’accès se fait après avoir traversé le hameau à pied, (car il est préférable d’abandonner les véhicules à distance, afin de ne pas troubler la tranquillité de ses habitants et de ne pas abuser de leur aimable accueil). Il faut suivre ensuite un chemin peu marqué, menant au creux d’un petit vallon, la mine se trouvant en effet à discrétion en dessous du hameau, en direction d’un bouquet de petits hêtres très ouvert.
Les premiers coups de pioches remonteraient à 1834, pour effectuer d’abord des travaux de recherches, suite à la découverte du filon, qui fut vraisemblablement, comme toujours, le fait de gens du pays. Il n’était pas rare autrefois que des bergers descendent de la montagne des pierres suspectes à leurs yeux. Le 15 mars 1837, une ordonnance royale institua l’exploitation de la concession à trois années et fixa sa superficie, relativement petite à 51 hectares, 7 ares et 20 mètres carrés, ce qui est d’une remarquable précision. En pratique, son étendue occupait des biens sectionnaux revenant aux habitants de Baubertie. Soulignons, à ce propos, que la commune d’Anzat-le-Luguet dispose de 1 900 hectares de communaux, ce qui est assez considérable. Il est possible de revoir des bornes de l’ancienne concession, à Baubertie même, ainsi qu’une autre sur le sommet du Mont de Chanusclade. Je remercie d’ailleurs vivement Mr Daniel Pallut, pour son amabilité et ses indications dans la recherche de ces “pierres plantées des temps modernes”. Ainsi la courtoisie et l’hospitalité de la vieille paysannerie demeurent, à quelque part, intactes.
Il n’était pas dans l’intérêt des pétitionnaires de demander un périmètre plus vaste que celui des champs filoniens reconnus, car il revenait à l’Etat une redevance selon l’étendue des concessions. Le propriétaire de la concession de Baubertie, Pierre Boudon de Brioude possédait déjà, depuis 1836, la concession de la mine d’Antimoine dite de “La Forge”, d’une importante étendue : 641 hectares et située également sur le territoire de la commune d’Anzat-le-Luguet. Dans leurs espaces géographiques, les concessions de Baubertie et de La Forge sont très proches, leur fusion n’aurait cependant pu se faire, les gîtes n’ayant aucune relation génétique. Par ailleurs, c’était encore à Pierre Boudon que revenait la concession à Antimoine de la contrée voisine de Lubilhac (Haute-loire) d’une considérable surface : 810 hectares.
Si, à la fin du règne de Louis XV, la France se trouve être le plus grand pays industriel européen, ce n’est que dans la première moitié du XIXème siècle qu’elle entre vraiment dans une nouvelle ère de l’industrie minière et métallurgique, après que l’Angleterre l’ait devancée par sa “Révolution industrielle”. La France met alors en œuvre sa “grande industrie”, d’abord au Creusot avec les Wendel, qui se distingueront dans les premières coulées de la fonte de façon préindustrielle et feront ainsi figures de la puissance française par leurs procédés techniques. Ils feront notamment usage du coke métallurgique, après les premiers essais réalisés en France par le jeune et talentueux minéralurgiste et maître de forges lyonnais : Gabriel Jars (1732-1769). Cette embellie industrielle à l’entreprise géante du Creusot se poursuivra en 1836, avec les frères Adolphe et Eugène Schneider, qui instaureront de nouvelles organisations du travail et de nouvelles techniques de production, créant ainsi un grand retentissement dans l’opinion, car elles se développeront jusqu’aux contrées les plus reculées.
Le pays de Brioude-Massiac, jusqu’alors de vocation agricole, n’échappera point, comme de nombreuses régions de France, à l’effervescence minière, par la nécessité de se procurer des matières premières, le progrès du “machinisme” l’imposant par la considérable consommation des métaux et l’amélioration de la productivité du travail par la vapeur. La décennie 1850-1860 fut en effet d’une mutation décisive, la production industrielle passant alors par un maximum absolu. La diffusion des méthodes mécaniques sera accentuée par l’installation en France d’industriels anglais et belges.
Par ailleurs, à la même période, on commençait à s’activer de toute part pour la “mine” d’une façon difficilement imaginable, des mines allaient s’ouvrir ou se rouvrir, et cela par milliers dans l’hexagone. La “fièvre minière” poussera en grand nombre les “faiseurs d’affaires” en tout genre et de toutes conditions sociales, du notable à l’agriculteur, dans la folle ambiance minière pour “débusquer” la moindre substance minérale, avec espoir de faire “bonne fortune” ou simplement de préserver ses droits. Par exemple, Philomène Pécoil, de Blesle, sollicita, le 18 décembre 1891, l’autorisation d’explorer un filon d’Antimoine se trouvant dans sa propriété, à l’encontre d’un tertre rocheux, soutenant la route de Blesle à Anzat-le-Luguet. Ce gisement fera l’objet de grattages, ces modestes haldes réservant, aujourd’hui, de remarquables échantillons minéralogiques, de quoi satisfaire les Micromonteurs. Sur ce gîte, l’Antimoine est d’un faciès aciculaire en fins cheveux ou en larges aiguilles de 3 à 5 mm. Se rencontrent également de beaux cristaux de 3 mm jaune-or de Pyrite octaédrique, ainsi que de la Sidérite, en cristaux losangiques de 2 mm noir et jaune clair, et enfin des cavités de la roche gneissique, formant les épontes du filon qui se remplissent de magnifiques prismes hexagonaux de quartz translucide de 2 à 4 mm.
On peut encore parfaire la démonstration des démêlées sur le droit de recherche et d’exploitation minière, à partir notamment de la petite localité d’Auriac l’Eglise, dans le canton de Massiac et aux portes du Cézallier, où six filons d’Antimoine devaient être recensés. Ce n’est alors pas moins d’une trentaine de personnes, dont encore une femme, décidément..., qui viendront porter connaissance à l’autorité du maire, de la découverte d’une veine minéralisée, soit dans leurs propres fonds, soit dans ceux d’autrui. Evidemment sur l’étendue relative d’un terroir communal très morcelé, il est certain qu’un même filon puisse traverser plusieurs propriétés et cela tend à expliquer la multitude des déclarations. Parmi ces “inventeurs” de gîtes métallifères, figure Parjardis de Larivière, ingénieur des Arts et Manufactures, qui, en 1916, fera directement connaître, au préfet du Cantal, son intention d’une exploration, par lui-même, d’un filon de minerai d’Antimoine dans une parcelle au terroir de Riol. Dans sa déclaration, il argumentait, à son avantage, que ce minerai d’Antimoine serait destiné à la fonderie du “STIBUIM” à Brioude, travaillant pour la Défense Nationale.
Pour chacune de ces déclarations de filons, le maire délivrait un certificat d’inventeur garantissant des droits : soit pour obtenir un permis de recherche, soit à l’égard d’entrepreneurs de mines. Malgré ces dispositions, cet extraordinaire engouement pour les gisements miniers ne manqua pas de susciter rivalités, procès, chicanes et agissements condamnables de toutes sortes.
Les sentences des tribunaux se rapportant à des affaires concernant les mines sont loin d’être une exception des instances judiciaires et les délits y sont multiples. Un jugement sera rendu pour le déplacement, de nuit, d’une borne de concession, mais également pour une opération, elle aussi nocturne, concernant un puits de recherche ouvert dans la journée par le propriétaire et rebouché le soir même par un concurrent. Les méfaits pouvaient aller jusqu’à des actes d’une violence extrême comme l’agression à main armée, du plus pur style Far West, de mineurs occupés à creuser une galerie, malfaisance s’étant produite en 1907 à Saint Just, près de Brioude. Suite à cet homicide, le tribunal correctionnel du Puy rend son verdict : le plus coupable des agresseurs, celui qui brandit l’arme à feu, est condamné à 48 heures de prison et ses comparses sont acquittés. Nous croyons comprendre qu’à l’époque, il valait mieux être jugé pour un délit tel qu’une tentative de meurtre que pour avoir dérobé une motte de beurre. En effet, nous lisons, dans la même rubrique judiciaire, que pour cet acte délictueux, une veuve avec enfants à charge fut condamnée par le même tribunal à 20 jours de prison.
Dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle, dans les campagnes à Antimoine de la région de Brioude-Massiac, un entrepreneur de mine revendiquant un privilège royal exerçait une véritable tyrannie. En effet, pour s’exécuter, en dehors de la loi commune, il s’accompagnait d’une cohorte d’archers, afin de chasser, sans autre forme de procès, de pauvres paysans qui cherchaient à extraire de l’Antimoine dans leurs propres fonds. Ses actes de violences seront notamment dénoncés par Antoine Grimoald Monnet, contrôleur des mines en déplacement dans la région de Brioude, quelques temps avant la Révolution. A l’époque, la plupart des exploitations minières étaient encore le fruit d’initiative individuelle sans existence juridique légale ; les travaux étaient, par ailleurs, conduits sans méthode, d’une façon empirique et désordonnée.
Nous avons aussi les singulières tracasseries de la veuve Orceyre, aubergiste à la Chapelle-Laurent, lorsqu’elle revendiquait, en 1890, ses droits d’inventrice d’un filon d’Antimoine dans un champ à Souliac. Certes, cette propriété ne lui appartenait pas, mais elle disait avoir l’accord de son propriétaire. Pour ce gîte d’Antimoine, elle se battra d’arrache-pied, contre un industriel de Montluçon, Théodore Lassalle, qui finira par en obtenir la concession, le 26 novembre 1892. Peu de temps après, ce dernier le rétrocédera à un certain sieur Marret, lequel à son tour, en confiera l’exploitation à la Société des Mines et Usines de Brioude-Auvergne. En 1900, Lassalle, devait aussi, nous le verrons, s’intéresser au filon de Baubertie.
Ainsi, pour sa part, un important exploitant minier de la région de Brioude fera subtilement appel à une agence de détectives privés de Paris, afin de procéder à une enquête sur un armateur britannique, sujet de la Reine, manifestant l’intention d’acquérir des mines d’Antimoine dans la contrée de Massiac. Notons, encore, les exploits d’un noctambule, exploitant chaunier de la petite Limagne Brioude-Issoire, en quête de nouveaux gisements : il parcourait les champs les nuits de pleine lune, la “barre à mine” en main, car, pour lui, il n’était pas prudent, ni convenable de dévoiler trop tôt ses intentions d’achats de terrains.
Cette philosophie quelque peu anarchique de la chose minière ainsi démontrée, il faut souligner qu’il n’y avait pas pour autant une absence de règles se rapportant à l’activité minière. Comme les dispositions de la législation minière ne rentrent pas vraiment dans le cadre de cette note, nous en rapporterons seulement quelques fondements. Il existait, bien depuis longtemps, une réglementation sur les mines : la première serait une ordonnance de Louis XIV, en 1471, notifiant que le droit notamment d’ouvrir une “fosse” était, à l’époque, assujetti à un passe-droit du Roi. Cette disposition sera, par la suite, quelque peu aménagée par un arrêt du conseil en 1744, rappelant, néanmoins, le droit royal du sous-sol. Dans les faits, l’autorisation de l’Etat ne s’accordait uniquement qu’à des possédants. Mais ce n’est vraiment que sous Napoléon Bonaparte qu’apparaît une réglementation plus équitable des permis d’exploiter, qui fera aboutir la Loi Minière du 21 avril 1810 (toujours en vigueur), établissant, ainsi, le régime des concessions, sensé éviter bien des désordres, en s’inspirant à l’époque de ce qui existait dans les pays allemands.
Les pétitionnaires d’une concession minière durent, dès lors, se soumettre aux nouvelles réglementations administratives, notamment procéder à un affichage, par l’intermédiaire du maire, pour l’information des populations sur l’étendue de la concession projetée et sur la nature des substances minérales recherchées. Placardées de préférence aux portes des églises et mairies, d’un format réglementaire de 40 x 40 cm, ces affiches étaient, selon les régimes gouvernementaux du moment, surmontées soit d’un bandeau à l’effigie de l’Aigle Impérial, soit de l’actuel sceau de la République. Leurs textes devaient aussi paraître obligatoirement dans la rubrique des annonces légales des journaux régionaux.
Les demandes en concurrence ou les oppositions devaient être formulées avant le dernier jour du quatrième mois. Pendant la période des enquêtes commodo-incommodo, il n’était pas rare que des assemblées municipales viennent à prendre parti pour les petits propriétaires comme celle de Lubilhac près de Brioude, qui dénonça en 1889, à l’encontre d’un exploitant de mine : “qu’il ne serait pas juste qu’un homme profite de sa haute position de fortune, pour arracher des terres de petits propriétaires, les richesses qu’elles peuvent contenir”. En 1884, les conseillers de la petite agglomération de Bonnac près de Massiac, avaient déjà rejeté une autorisation de recherches, prétextant ne pas connaître d’avance l’étendue des dommages consécutifs aux travaux miniers envisagés. Au cours des premières années du siècle, les habitants de Mercoeur, près de Brioude, se regroupèrent en comité de défense, pour faire constater, par huissier, le débit d’une source avant l’ouverture d’une galerie à proximité. La source d’Ouches s’était effectivement tarie dans l’exploitation des mines d’Antimoine de cette localité près de Massiac. En dernier recours de ces procédures minières, c’étaient les préfets des départements concernés qui statuaient après l’avis de l’Ingénieur des Mines de l’arrondissement minéralogique.
Les concessions étaient, en fait, accordées par décret du conseil d’état, quand les travaux préliminaires s’avéraient avantageux, disons dans la mesure où le gisement était considéré comme rentable. Pour la mine de Baubertie, il avait été extrait trois mille quintaux environ de minerais d’Arsenic, au moment où elle fut concédée. Une justification de la rentabilité du gisement ne suffisait pas pour obtenir une concession ; selon l’article 25 du code minier, il fallait aussi prouver la possession de capacités techniques et financières pour mener à bien l’exploitation.
Dans les trois mois suivant l’établissement d’une concession, son périmètre était délimité par l’implantation de bornes placées aux sommets de ses extrémités, opération obligatoirement effectuée sous le contrôle d’un Inspecteur des Mines, les limites des concessions devant figurer sur les affiches. Les pétitionnaires, désormais protégés par la jurisprudence minière, n’avaient plus qu’à payer à l’état une redevance tréfoncière annuelle à l’hectare et de dédommager les propriétaires du sol. Pierre Boudon, pour la concession de Baubertie, devait rétribuer 8 centimes par hectare. Pour sa part, le 1 juillet 1906, François Auguste Barthomeuf, originaire de Paulhac près de Brioude, qui avait cessé sa profession de notaire pour se lancer dans l’aventure minière, s’engageait, par contrat à l’amiable, à verser à Georges Lacroix, agriculteur au hameau du Boussy, commune d’Ally, (Haute-Loire), la somme de vingt francs par cent mètres carrés de terrains superficiels occupés par les travaux et les déblais. Paiement fixé pour trois années et reconductible, les règlements se faisaient alors avec la mention, bien souvent en usage à l’époque : “en bonne espèce de monnaies ayant cours” ; précisons à cela le fait que, malgré sa création dès 1803, le franc dut rivaliser longtemps avec des monnaies plus séculaires. Ainsi le Liard, la Pistole et l’Ecu avaient encore cours et chacune de ses monnaies s’échangeaient dans des marchés locaux créant une extrême confusion. Ce désordre monétaire prendra véritablement fin en 1915, avec la chute vertigineuse du Franc, conduisant par ailleurs le gouvernement à changer les monnaies d’Or contre des billets.
Cinq années plus tôt en 1891, F. A. Barthomeuf avait abandonné son cabinet de notaire, une période où il s’accordait beaucoup de concessions, car on en était réellement à l’âge d’Or des mines ; pour s’en convaincre, il suffit de consulter, par exemple, les Annales des Mines de l’année 1904. F. A. Barthomeuf sera tout d’abord directeur des mines de Cunlhat dans le Puy-de-Dôme, avant de s’investir personnellement dans des travaux de recherches pour l’Antimoine, au- dessous du hameau d’Apcher, commune d’Anzat-le-Luguet. Puis il s’attaquera à des filons d’Antimoine du secteur d’Ally et, enfin, ouvrira la petite mine de Plomb-Argentifère de Paulhac, près de Brioude. F. A. Barthomeuf fut de ces “aventuriers miniers” qui eurent à connaître les aléas de la mine, comme un véritable “gouffre” financier. Une mésaventure qui ne toucha pas son contemporain Emmanuel Chatillon, qui fut, comme lui, officier public avant de se lancer dans l’aventure minière, mais qui connut plutôt une grande prospérité industrielle dans l’exploitation de l’Antimoine. Pour ce minerai gris acier à gris de plomb, après sa transformation en Antimoine métallique (Régule), Emmanuel Chatillon était le fournisseur de l’Etat pour l’artillerie et pour l’Imprimerie nationale ; il laisse ainsi, pour sa part, le souvenir d’un capitaine de l’industrie.
Le retrait d’une concession pouvait être prononcé, en premier lieu par défaut de paiement pendant deux années consécutives des redevances minières à l’Etat ou aux communes et en second lieu s’il n’était pas régulièrement fourni une certaine quantité de minerais. Il y avait aussi obligation de se conformer aux dispositions d’un cahier des charges, annexé à l’acte institutif établi par l’ingénieur des mines de l’arrondissement minéralogique. Ce registre faisait souvent paraître des recommandations dans le mode des travaux à suivre, pour exploiter les gîtes avec méthode et sûreté. Forcément, des mesures étaient prises concernant la sécurité des ouvriers ; les galeries, plus spécialement, devaient avoir une distance verticale entre chaque étage de 20 à 25 mètres et devaient être mises en communication par des puits intérieurs distants de 40 à 50 mètres. Leurs ouvertures étaient larges, pour permettre l’évacuation efficace des gaz produits par les tirs de cartouches de dynamite et pour recevoir des échelles permettant la sortie des ouvriers en cas d’éboulements.
Tous les ans, les exploitants de mines se trouvaient dans la nécessité de fournir les plans et coupes des travaux et de les remettre au préfet, après vérifications par l’ingénieur des mines de l’arrondissement minéralogique régional, mais aussi de tenir un registre journalier, ainsi qu’un document comptable de vente des produits et des frais d’exploitations, qu’ils devaient ensuite présenter à l’inspection des mines. Malgré le fait que les inspecteurs prodiguaient des conseils avec bienveillance, les “barons fossiès” redoutaient souvent leurs passages et parfois même les accueillaient d’un œil haineux. Les contrôleurs pouvaient réprimander les entrepreneurs exécutant des travaux mal conduits, ou bien encore non sécuritaires pour les ouvriers.
Les explorateurs de mines se devaient de respecter la législation sur les explosifs, l’autorisation de détention de matières explosives étant soumise à déclaration ainsi qu’à un affichage à l’intention de la population des contrées minières concernées. En juin 1907, la gendarmerie de Lavoute-Chilhac dressa un procès-verbal, pour dépôt non autorisé par l’autorité de l’administration de 200 kg de dynamite, au directeur d’une mine d’antimoine près d’Ally, (Haute-Loire). En fait, celui-ci avait reçu plus rapidement les charges explosives que l’autorisation permettant de les détenir.
Il est évident que, suivant l’intitulé du Titre Minier d’une concession où il apparaissait, par exemple, les fabuleux mots : Aurifères et Argentifères, les actionnaires affluaient plus rapidement et en plus grand nombre pour la constitution de la société minière. La plupart des sociétés minières étaient alors des entreprises en commandites par actions, où les actionnaires étaient seulement des bailleurs de fonds, le pouvoir exécutif revenant de droit à la direction.
Lors de la mise en œuvre de la mine de Baubertie en 1837, le mouvement général financier pour les investissements miniers venait de commencer depuis peu. Mais, dès lors, la “frénésie“ pour les ressources minières s’installa rapidement en France et agita bien des spéculateurs en quête de bonnes affaires. Nombreuses sociétés minières ne furent que des “miroirs aux alouettes” : il y eut en effet beaucoup de banqueroutes... la mine de Baubertie connaîtra ce destin.
Pour mieux saisir cet élan “industriello-minier”, il faut prendre en compte la production fortement accrue de biens matériels, par la transformation et la mise en œuvre de matières premières, ce contexte favorisant par ailleurs des perspectives socio-économiques nouvelles, ainsi que les premiers grands aménagements du territoire : notamment, la création de ports et la construction de routes taillées dans les montagnes. C’est dans ces élans de modernité, et proche de Baubertie, que se perçait le tunnel du Lioran, au cœur du Cantal, ouvrage marqué par un certain héroïsme et par une prouesse technique qui durera de 1839 à 1847. On avait vu haut et large, alors que l’on ne connaissait pas l’automobile et qu’il n’existait, tout au plus, que les services de diligence dite “à grande vitesse”, pour parler des moyens de déplacement les plus rapides. Aujourd’hui, le tunnel du Lioran ne suffit plus aux 5 000 véhicules quotidiens.
A deux pas de Baubertie, depuis le panorama exceptionnel offert sur les monts du Cantal par le piton volcanique de la “Brèche de Giniol” (1 275m), on aperçoit l’alignement de l’étroite vallée du Lioran creusée par l’Alagnon, d’où s’engouffre le tunnel qui transperce l’immense Volcan Cantalien sur une longueur de 1 414 mètres. Qu’il soit rappelé, en passant, que ce colossal ouvrage revient à un très jeune ingénieur des ponts et chaussées âgé de 24 ans, Adrien Ruelle, originaire des Hautes-Alpes. Ce polytechnicien, sorti de la grande école à 19 ans, a laissé un exemplaire de son mémoire sur les travaux du tunnel aux Archives Départementales du Cantal.
Pour poursuivre l’image sociale de l’époque, situons-nous dans les espérances très prometteuses dite de la “France Moderne” et ce n’est pas un vain mot. Le pays est en effet pleinement entré dans sa “Révolution industrielle” caractérisée par la proto-industrie, commencée certes dans la fin du siècle précédent les “Lumières”, le grand siècle. C’est une période conséquente pour les manufactures, pour les industries minière, métallurgique et verrière, pour les filatures, les tanneries, des draperies et les forges, période symbolisée par l’empire du Creusot avec ses hauts fourneaux et ses grandes cheminées. C’est aussi à cette époque-là qu’il s’ensuit un développement considérable de la marine marchande et de l’avènement du chemin de fer, très porteur de capitaux avec les mines. Nous sommes, en plus, à la période des “Impérialismes triomphants”, de l’expansion coloniale, un facteur de prospérité non négligeable pour la France, par l’apparition de nouveaux marchés qui amèneront à développer considérablement la production.
Malheureusement, comme on le sait, l’ère coloniale est parfois marquée par de tragiques événements... Une simple fraction du capital social des mines d’Arsenic de Baubertie provenait d’une société en commandite, par un apport au choix des parties prenantes soit en souscriptions d’actions nominatives soit aux porteurs. Ces actions, de mille francs chacune, étaient numérotées de un à quatre cents. Les deux premières centaines furent allouées au créateur de la société de Baubertie : Henry-Jules Borie, actions qui furent nommées “au fondateur” pour le dédommagement des fouilles de recherches et de légitimes “espérances mathématiques de gains”. Sur le nombre total des actions, quarante furent d’office affectées à la gérance à titre de garantie de gestion et laissées entre les mains du banquier de la société.
Le siège social de cette société minière était à Paris : 12, place de la Bourse, son fondateur en était donc H-J Borie, en sa qualité d’ingénieur civil des mines, demeurant au Puy dans le département de la Haute-Loire. Le propriétaire de la concession, Pierre Boudon, lui avait cédé tous ses droits, H-J Borie se trouvant ainsi le seul gérant et responsable de la société, les associés n’étant que des commanditaires, engagés jusqu’à la concurrence du montant de leurs actions.
Précisons aussi que H-J Borie établissait en même temps une usine à Brassac, pour le “blanchissage de l’Arsenic”, selon le terme employé sur une pièce d’archive, (comprenons de l’acide Arsénieux) en rive gauche de l’Allier, pour être alimenté par du charbon du pays. A propos de l’usage de la Houille, rappelons que c’est surtout au XIXème siècle que devait s’ouvrir véritablement l’ère du charbon, symbole de la Révolution industrielle. L’usine de Brassac, fut construite pour traiter du minerai Arsenical, en provenance de la mine d’Espeluche, à une quinzaine de kilomètres de la cité houillère, sur les contreforts Est des monts Livradois.
Dans les prévisions comptables de la société des mines de Baubertie, H-J Borie devait percevoir à titre d’indemnité un traitement de 5 000 francs pour la première année de la création de la société, par la suite 20 % des bénéfices nets devaient lui être versés. En outre, logé, meublé, chauffé, éclairé aux frais de la société, pendant toute la durée de la gestion, demeurait-il près de la fonderie ou bien à Anzat-le-Luguet, distant de huit kilomètres ? Il reste aussi à savoir s’il restait sur place les longs mois d’hiver, dans cette région d’altitude, très froide et enneigée, période de l’année où les conditions d’existence sont si rudes que les travaux à la mine et le fonctionnement de l’usine furent certainement quasiment impossibles.
En gérant responsable, H-J Borie se trouvait dans l’obligation d’exécuter les opérations d’administration de la société, de choisir les employés, les chefs d’ateliers, de fixer les émoluments et les conditions de travail, de traiter les marchés dans l’intérêt de la société pour l’achat de matières premières, la vente des produits, l’acquisition des terrains nécessaires, tant à la création de l’établissement et de ses dépendances qu’à l’exploitation de la mine. Des achats de propriétés seront effectivement consentis par la société, pour son usine de traitement du minerai Arsenical, mais nous y reviendrons.
La constitution de la Société des Mines de Baubertie s’est effectuée à l’étude de maître Jacques-François Hyacinthe le Hon, à Paris le 14 février 1838, soit une année après l’institution de la concession. Les futurs actionnaires devaient contacter Messieurs Senonnes et Lépinois, banquiers de la société, résidant au siège de la société à Paris. Il est vrai que les mines, l’industrie lourde et le chemin de fer feront naître les banques nouvelles de la Révolution industrielle. Il revenait dans les attributions des deux agents bancaires de payer à chaque actionnaire, à échéances fixes, les intérêts des dites actions, au taux de cinq pour cent par an. Les candidats à l’actionnariat de la Société des Mines de Baubertie pouvaient également souscrire auprès de messieurs Comitis et Marche, banquiers à Clermont-Ferrand. Un prospectus d’une quinzaine de pages se trouvait à la disposition des investisseurs c’était une pratique courante, dans le milieu des affaires au XIXème siècle, que de remettre aux intéressés un exemplaire des actes constitutifs des sociétés.
Voyons à présent quelques applications industrielles de l’Arsenic. Rappelons aussi que certaines de ses utilisations furent longtemps redoutées, au point de devenir, surtout dans le milieu du XIXème siècle, une préoccupation de santé publique. Sinon, l’usage de l’Arsenic devient peu à peu, une substance fort prisée dans l’industrie, comme le démontre la brochure remise aux actionnaires.
L’Arsenic convient, dès lors, à la fabrication du verre à vitre, à l’enduisage des câbles de marine, aux manufactures de papiers et de teinture qui en font une grande consommation. Cette substance minérale était aussi recommandée au plus haut degré, pour protéger les bois contre les ravages des insectes et les injures du temps, le traitement de la vigne et pour faire le plus ordinairement, de la “mort aux rats” et du papier... tue-mouches.
Dès la plus haute antiquité, les Chinois l’ont employé comme purgatif après que de l’eau est séjourné dans des vases en Arsenic. Les Hindous l’ont utilisé contre certaines fièvres rebelles à partir de pilules à base d’Arsenic. Au premier siècle de notre ère, Dioscoride, médecin Grec, auteur d’un traité sur la Matière Médicinale, réglementa l’emploi de l’Arsenic en médecine : il l’ordonna à l’état de sulfure ou d’acide Arsénieux aux malades atteints d’asthme, de bronchites chroniques. Les Grecs ont aussi eu recours à l’Arsenic pour panser leurs blessures et soigner les affections cutanées.
L’emploi thérapeutique de l’Arsenic semble s’être perpétué pendant quelques siècles puis tomba en discrédit au Moyen Âge. En revanche, jamais son emploi à titre toxique ne fut aussi florissant que dans l’histoire du crime où il entrait dans la composition du fameux poison de la famille Italienne des Borgia des XVème et XVIème siècles. Puis, il entra, au siècle suivant, dans l’affaire de la marquise de Brinvillier, coupable de nombreux empoisonnements, qui fut décapitée puis brûlée. Une célèbre empoisonneuse encore, qui fut pour sa part brûlée vive, Catherine Monvoisin, dite la “Voisin”, donnaient à ses clients de l’Arsenic qu’ils utilisaient dans les affaires de successions, à un tel point que l’on appelle toujours l’Arsenic “poudre de successions”. En effet, au XIXème siècle, c’est encore le poison le plus habituellement employé. Selon le docteur Alfred Martinet (1912) de 1835 à 1885, sur 1759 affaires criminelles, les 836 victimes auraient été assassinées à l’Arsenic. La lutte défensive contre ces intoxications criminelles fut, à vrai dire, imaginée quasi exclusivement par les professeurs de nos anciennes Ecoles Supérieures de Pharmacie Françaises. Ainsi, en récompense pour les services rendus, ces dernières devinrent Facultés et leurs directeurs, doyens.
A peu près délaissé donc comme agent médicamenteux pendant plus d’un millénaire, l’Arsenic fut tiré de l’oubli au XVIIIème siècle, d’abord par Pearson et Fowler en Angleterre, Harless en Allemagne et employé dès lors plus ou moins empiriquement. Au XIXème siècle, en France, Cazenave, Trousseau et Pidoux, Boudin, Germain Sée et Gubler assurèrent à la médication Arsenicale une place définitive dans la thérapeutique.
Désormais, l’Arsenic est administré comme excitant des fonctions cellulaires, comme stimulateur manifeste de l’appétit et sur l’organisme en général ; il fut un anti-infectieux, un anti-parasitaire contre la maladie du sommeil, la malaria, la lèpre, la syphilis, contre l’anorexie, les troubles nutritionnels, les neuralgies, l’arthritisme, l’asthme, les maladies de peau. Cependant, toutes ces prescriptions ne sont pas sans contre-indications formelles.
L’emploi de l’Arsenic est aujourd’hui très étendu dans ses applications en agriculture comme désherbant et défoliant ou pesticide pour le traitement de la pomme de terre, de la vigne, des arbres fruitiers ; avec ses propriétés toxiques, l’Arsenic est utilisé comme poison pour rongeurs. Dans l’industrie, l’usage de l’Arsenic convient pour la fabrication des verres opalescents et des émaux, comme pigments pour les peintures, pour le traitement des peaux, teintures d’étoffes, papiers d’emballages. La pharmacie fait aussi une place de choix à l’Arsenic et il est employé dans certains alliages non ferreux.
On retrouve les composés d’Arsenic sous les noms de : Arséniate de soude, acide Arsénieux, Arséniate de Plomb, Arséniate de chaux, le chlorure d’Arsenic. Pour triste mémoire, c’est à partir d’un dérivé de l’hydrogène Arsénié (ou arsine), du fait de son caractère gazeux et de son passage rapide dans les voies respiratoires, que fut fabriquer le redoutable gaz de combat de la guerre 1914 - 1918. Enfin, à moindre mal, l’Arsenic serait aphrodisiaque et viendrait à bout de la grippe, croit-on savoir.
Après avoir attiré l’attention des futurs actionnaires sur le fait que le minerai Arsenifère était loin d’être abondant dans la nature et que, jusqu’à ce jour, on n’en connaissait point de gîte en France, le petit opuscule mettait aussitôt en exergue les avantages d’une mine d’Arsenic au sein de la France. Il soulignait le fait qu’il y aurait une production nouvelle, entourée d’aides et de facilités, qu’ainsi les 22 % de droits de douane sur l’importation de l’Arsenic depuis la Silésie et la Bohème ne seraient plus payés. Soulignons pour notre part, qu’en 1855, les mines du district de Camborne-Redruth en Cornouailles produisaient annuellement 1 400 tonnes d’Arsenic blanc, soit comme nous l’avons précisé, de l’acide Arsénieux.
Il est ainsi question, aussitôt, de la découverte récente du filon de Mispickel à Baubertie, commune d’Anzat-le-Luguet, département du Puy-de-Dôme. La future mine de Baubertie est alors démontrée comme des plus prometteuses, surtout par ses réserves nous lisons à ce propos :“les travaux de recherches préalables devaient produire plus de 3 000 quintaux de minerais, au lieu de se présenter, comme il arrive souvent, maigres, impures, variables d’allure, les veines ont toujours été croissantes en pureté, puissantes et de compacité. Le principal filon qui est creusé sur plus de 20 toises de profondeur possède une épaisseur énorme de près d’un mètre, de même qu’il se prolonge sur plusieurs milliers de mètres, transversalement à une vallée profonde”. C’est une disposition (précise le document) qui renvoie à une époque très éloignée, quelle que soit l’activité de l’extraction. Soulignons, que la consommation de la France était alors, selon Ernest Brière - qui sera, nous le verrons, l’un des repreneurs de la mine de Baubertie- de l’ordre de 300 000 kilogrammes.
Toujours dans le petit livret remis aux actionnaires, bien d’autres arguments aussi convaincants furent rapportés et il serait juste de dire que le facteur psychologique fut de tout temps important, lorsqu’il s’agissait d’attirer l’attention des investisseurs. Tout d’abord, l’argument sur la solidité des roches primitives traversées par le filon fut mis en avant par le fait que leurs solidités ne nécessitaient pas le soutènement des galeries par des bois d’étai, ce qui était une cause perpétuelle de fortes dépenses sinon de ruines pour beaucoup de mines. De plus, les rédacteurs de la notice s’employaient à préciser qu’ici la roche n’était attaquable qu’à la poudre. Un point fort était mis sur la teneur du minerai Arsenical qui se montrait des plus avantageuses, à savoir pris en masse, le minerai donne 55 % d’Arsenic blanc, sans autre travail préalable si ce n’est une trituration. En cela, il s’opposait à celui d’Allemagne pour lequel il était nécessaire de faire, de nombreuses préparations, consistant en lavages et triages, cette dernière opération se divisant en trois catégories et diminuant la teneur initiale du minerai, qui ne dépasse alors jamais 45 %.
Il est aussi mis en avant que la mine de Baubertie est en plus : Argentifère, selon le Titre Minier de l’affiche de concession où il est effectivement fait mention d’une Once d’Argent par quintal de minerai, (il ne peut que s’agir d’une des anciennes mesures locales de l’époque, variant selon les provinces). Rappelons, à ce propos, que dans le Massif central, le quintal correspondait à cent livres, soit cinquante kilogrammes. A la page sept du fascicule, cette teneur de métal précieux passe à deux Onces par quintal, et il est particulièrement question à présent : “d’Argent Aurifère” ; le mot “Aurifère” est aussi formulé dans l’article -3- de l’acte constitutif de la Société. A lui seul, le mot “aurifère” est si magique en soi qu’il ne pouvait qu’éveiller les esprits les plus spéculatifs, surtout à l’époque de l’irrésistible appel de l’or, bien particulier au siècle. L’exploitation moderne de l’or en France, ne devait pratiquement commencer qu’en 1900, époque à laquelle créèrent une quarantaine de sociétés de recherches.
D’autres arguments, tout aussi convaincants, sont fournis par la notice, dont un avis des plus flatteurs pour cette mine, sur laquelle nous reviendrons, suite aux travaux de Pierre Désiré Baudin. La capitale Auvergnate doit à cet ingénieur des mines de notoriété la création, en 1831, d’un laboratoire de chimie et en 1859, l’étude d’une machine hydraulique destinée à la distribution de l’eau. Baudin, qui fut aussi inspecteur général des mines et député montagnard des Ardennes, avait pour beau-frère Jean Henri Hassenfratz, un franc-maçon qui fut une personnalité maîtresse du Corps des Mines.
Pour en revenir sans plus tarder aux arguments de Baudin, précisons que ce dernier se trouvait donc le mieux placé pour apprécier la valeur de la découverte, puisqu’elle revenait en partie à ses judicieux conseils. Il avait, en outre, obtenu de fructueux essais sur la teneur du minerai en Arsenic, dans lequel il avait notamment décelé de l’Argent et de l’Or. Dans l’intérêt de la science et de l’industrie, nous révèle encore la plaquette, l’Académie des Sciences fut sollicitée pour juger du mérite d’une semblable exploitation, dont deux de ses membres étaient les plus distingués et avaient une certaine autorité scientifique et morale. L’un d’eux, Pierre Louis Cordier, vice-président du conseil des mines, Pair de France (sénateur) joua un rôle important dans la rédaction des premières lois sur les chemins de fer, et l’autre, Brochand de Villers, fit ses études à la non moins célèbre école des mines de Bergakadémie de Freyber, où il suivit les cours du maître de la géologie Werner. Les deux Académiciens devaient être (selon la notice) frappés par la beauté des échantillons présentés à la célèbre Institution.
Accordons une mention spéciale à Pierre-Louis Cordier, car il fut le premier à utiliser le microscope en minéralogie et à faire, l’analyse moléculaire des roches qu’il soumettait à une pulvérisation. Nommé en 1819 professeur de géologie au Muséum d’Histoire Naturelle, il en sera longtemps l’Administrateur Directeur. Ainsi à sa mort survenue en 1862, la galerie de géologie du Muséum possède plus de 200 000 échantillons, grâce à son influence.
A présent, voyons rapidement l’origine du mot “Arsenic” et sa définition minéralogique. Le vocable “Arsenic” viendrait d’“Arsénicum” depuis Pline, qui recommandait les vapeurs de cette substance métallifère chez les malades souffrant d’asthme chronique et de toux opiniâtre. Minéralogiquement, l’Arsenic est un minéral du symbole chimique : As, d’éclat métallique, de couleur gris acier à gris d’étain, très cassant, d’une dureté de 5,7 ; chimiquement, ce minéral se classe parmi la famille dite des Eléments. Par son système cristallin, il est défini comme étant de forme Triclinique, bien que les cristaux soient Rhomboédriques. Enfin, l’aspect le plus courant de l’Arsenic est botryoïdale ou par masses granuleuses.
Nombreux minéraux contiennent de l’Arsenic, mais on en compte plus d’une centaine où l’Arsenic n’est, par ailleurs, qu’en faible quantité. Ceux ayant une réelle valeur économique sont : le Mispickel, l’Orpiment et le Réalgar. La mine de Baubertie se caractérise par sa minéralisation en substances Arsenicales par du Mispickel, qui est un sulfoarséniure de Fer et par de la Scorodite, un Arséniate de Fer hydraté. Pour sa part, la Scorodite est pratiquement toujours un minéral secondaire, se formant dans les zones supérieures oxydées d’un filon métallifère qui possède des minéraux Arséniés, dont principalement du Mispickel. Le mot Mispickel remonte à 1765, grâce au célèbre naturaliste des “Lumières”, le gentilhomme Bourguignon De Buffon et il sera dénommé par la suite : Arsénopyrite en 1847, par Glocker. On doit également à ce dernier grand minéralogiste du XIXème siècle le nom de nombreux minéraux.
Pour reparler du filon de Baubertie, souvenons-nous qu’il est relaté dans la notice comme bénéficiant d’une épaisseur “ENORME” et d’un prolongement de plusieurs milliers de mètres. Qu’en est-il réellement ? Selon Jean-Jacques Périchaud, il s’agirait du même filon que celui de la mine de Vèze dans le Cantal, distante seulement de trois kilomètres au sud de Baubertie.
Les premiers travaux d’exploration à Vèze remonteraient seulement à 1898, année de la découverte du filon de cette mine, qui connaîtra une exploitation uniquement sur une dizaine d’années, mais d’une façon particulièrement intensive et dotée d’un équipement moderne pour le traitement du minerai. Bien qu’effectivement à Mispickel, le filon de Vèze est minéralogiquement plus complexe par la présence de sulfosels du type Freibergite et Pyrargyrite, minéraux particulièrement riches en Argent. Cette paragenèse, rencontrée à Vèze plutôt qu’à Baubertie, serait liée à une remobilisation lors des venues carbonatées tardives à Dolomie. Dans sa direction sud, le filon de Baubertie s’observe en plusieurs points par des “mises” limoniteuses qui laissent bien envisager son allure en chapelets de lentilles minéralisées jusqu’à Vèze. Cette concession fut instituée le 19 décembre 1901, aux frères Lumière, les inventeurs du “cinématographe”, qui recherchaient alors absolument des sels d’Argent, utilisés comme support photographique. Ils produisaient, en effet, annuellement 400 000 douzaines de plaques sèches. Ces chiffres nous rappellent le fulgurant enthousiasme de la photographie : 17 % des personnes qui se rendent à l’Exposition Universelle de Paris en 1900 sont munies d’une “chambre photographique” portable.
Gîtologiquement, la mine de Baubertie se résume à un filon principal, bien qu’autrement il existe trois petits filons annexes hors limite de la concession, en rive gauche du ruisseau du Barthonnet. Ce sont les filons dits de : Graveyroux, de l’Usine et de Vins-Haut, qui ont fait l’objet de grattages, mais sans développement minier. Dans un rapport de 1844, Baudin fait état de douze filons reconnus dans le secteur de Baubertie.
A propos du filon de Vins-Haut, alors qu’il n’en subsistait aucune trace d’exploitations, courant 1989, en bordure de l’ancien chemin de Vins-Mège, un engin de terrassement (tracto-pelle) devant prélever des matériaux d’enrochement sur un tertre de roche Gneissique en voie d’altération, mit à jour une ancienne galerie. Apparemment creusée à la pointerolle, comme en témoignaient des traces de pics sur ses parois, elle fut explorée sur 70 mètres, dans une direction Est/Ouest jusqu’à un éboulement. Manifestement, à ce niveau les travaux ont pénétré dans une zone ferrugineuse, fortement marquée par une oxydation de teintes jaunâtres à brun rouge, démontrant un indice probable de “chapeau de fer” des dépôts métallifères.
Une observation à la loupe binoculaire de cette matrice limonite nous montre de belles irisations et nous fait apparaître des agrégats, en aspect de grappes et en minces stalactites, d’un mélange d’oxyde de fer où domine la Goethite qui, à priori, ne possède pas de trace de sulfures dans les échantillons observés.
Cette formation d’Oxyde de fer et de Manganèse, se trouvant dans une position intermédiaire entre les filons à Antimoine de la mine de la Forge et le filon à Mispickel de Baubertie, serait-elle Uranifère ? La question, ainsi posée en plein district à Antimoine de Brioude-Massiac, pratiquement exempte de gîte à Uranium, peut surprendre. Cependant, le regretté Claude Bénèzit, maître mineur à l’ancienne mine d’Ouche (mine géante à l’échelle du district), me fit part, un jour que je lui rendais visite à Massiac courant l’année 1970, qu’en “bonne compagnie” de son ami Jacques Geffroy, disparu en 1993, ingénieur géologue au Commissariat à l’Energie Atomique, ils avaient eu la stupéfaction, alors en “ballade” du côté d’Anzat-le-Luguet, précisément dans le secteur des anciennes exploitations de La Forge et de Baubertie, de détecter des “rayonnements” indiquant de la Radioactivité, après que le “Grand Gef”, comme l’appelaient familièrement ses nombreux amis, ait mis en fonctionnement, par un simple réflexe professionnel, son scintilomètre qu’il faisait toujours suivre, placé dans son sac à dos, même s’il n’en avait pas vraiment l’utilité.
D’évidence, nombreux gisements Uranifères se sont montrés liés à de semblables faciès rubéfiés. Celui de Vins-Haut présente donc, une forte analogie avec les roches magasins des gîtes Uranifères, lesquelles sont souvent associées à des zones de cémentation de la transformation de roches préexistantes et qui, au contact de fractures, permettent la circulation de fluides. Toutes ces considérations peuvent encore converger vers un “guide de prospection” pour l’Uranium, soit même le plus classiquement, un ensemble métamorphique disposé au contact d’un Granite caché en profondeur. Ceci est aussi vrai pour le filon de haute-température à Mispickel de Baubertie, où l’on peut encore envisager la zonalité d’un pluton Granitique.
D’un pendage de 70° ouest et d’une gangue de quartz maigre, le filon de Baubertie est au contact de la roche gneissique sans joint argileux et d’une puissance métrique, moyennement minéralisée sur 0,30 m, ne donnant ainsi qu’une minéralisation d’ensemble, d’une assez faible teneur. Il fut exploité à flanc d’une ravine, par quatre galeries étagées à différents niveaux, reconnues seulement sur une profondeur de 15 mètres. Le développement des trois galeries inférieures représente, cependant, au total 260 mètres. Concernant la galerie supérieure, ouverte sous le basalte, ses caractéristiques ne sont pas connues : les travaux furent à chaque fois stoppés lorsqu’ils abordaient le serrement du filon et dès qu’ils avaient raclé jusqu’aux épontes la totalité du minerai, ils s’arrêtaient au lieu de continuer comme cela se pratiquait alors, quand le filon acquérait une plus faible teneur en minerai. En effet, le filon de Baubertie est d’un aspect “accidenté” comme tous ceux pratiquement du réseau filonien régional. Il s’agit de filons lenticulaires, c’est-à-dire que la veine s’amincit, pouvant (pas nécessairement) se renfler plus loin en une grosse masse de minerai, cette irrégularité diminuant considérablement la rentabilité de l’exploitation.
A l’époque de la mine de Baubertie, rien ne pouvait laisser vraiment présager une exploitation prolongée ; la seule façon de savoir si le sol renfermait bien les richesses qu’on comptait y découvrir était d’aller en explorer les profondeurs. La progression s’effectuait alors “à vue”, c’est-à-dire à partir de galeries ouvertes en traçage du filon. On était dans l’impossibilité, alors, de reconnaître les structures minéralisées, leurs extensions en profondeurs ainsi que de comprendre la morphologie du gîte, autrement qu’en effectuant des travaux miniers. On était bien loin des précieuses évaluations géochimiques et géomécaniques, par carottages, requises aujourd’hui.
Les entrées des galeries sont, désormais, éboulées ; dans le cas contraire, une exploration prudente des travaux souterrains aurait pu permettre d’en connaître le mode d’exploitation, la forme des voûtes des galeries, l’outillage employé, notamment le diamètre des fleurets pouvant aller généralement, à l’époque, de 24 à 35 mm, mais aussi la section des trous qui pouvaient être parfaitement cylindriques ou bien, comme parfois, triangulaires à angles arrondis.
Dans la première moitié du XIXème siècle, l’avancement au front de taille des puits et galeries se trouvait de cinquante centimètres par jour, soit l’abattage de l’ordre d’un mètre cube de roche par poste de travail. Chaque équipe comprenait généralement un mineur-piqueur, dit, de par son aide, mineur du “revenché”, dégageant le front de taille avec une barre à mine et d’un rouleur-charpentier, chargé du déblaiement des galeries et de leurs boisages. Le poste de boiseur, pouvant en soi nous semblait simple, apparaît, cependant, être un travail aussi indispensable que d’exécution difficile pour consolider convenablement la voûte des galeries. J’évoque ces propos en connaissance de cause, pour avoir recadré une galerie sur quelques mètres, afin d’en sécuriser son franchissement.
Ce rendement journalier de l’ordre du demi-mètre par jour, que nous venons d’évoquer, peut nous paraître faible, mais l’enfoncement des fleurets aciérés et pointus se pratiquait, comme à l’époque médiévale, à coups de massette lourde de 2,5 kg. Tout l’art de l’ouvrier piqueur consistait, encore, à faire tourner le fleuret d’un quart de tour à chaque coup et ainsi de suite jusqu’à obtenir un trou de 40 à 50 centimètres de profondeur ; il fallait donc 8 à 12 heures de travail. Les fleurets s’usant vite, il fallait les changer au moins une quarantaine de fois et la forge ne chômait pas pour les réaffûter. Souvent ce développement journalier était moindre du point de vue de la profondeur et de la difficulté des travaux, en raison notamment des infiltrations d’eau, qui ont été, à cette période encore archaïque de la mine, la cause de la fermeture prématurée de nombreux gisements, faute de moyens efficaces d’exhaure. Quant à la section des galeries, en pratique, elles ne dépassaient guère 170 à 180 cm de hauteur et 110 à 120 cm de largeur.
Nous ne ferons pas une approche plus détaillée de la vie de la mine et des mineurs. Cependant dans la visite de ces anciens travaux miniers, précédant ou durant l’époque de “Germinal”, ainsi que ceux des décennies suivantes, on ne peut oublier que ces travaux-là furent l’objet de la volonté et de la rude besogne de quelques hommes, ce qui ne peut que nous laisser songeurs et respectueux. En effet, leur travail s’effectuait dans des conditions extrêmement pénibles, malgré l’usage de la poudre, qui avait, cependant, de fâcheuses conséquences en produisant beaucoup de poussières et de fumées nocives, et qui n’était, encore, que trop souvent mortelle, lorsque la mèche lente, composée de coton soufré, venait à faire long feu par l’humidité. Rappelons qu’au moment des premiers travaux de la mine de Baubertie, on connaissait depuis peu (1831), le cordon de sûreté constitué de chanvre de l’Anglais William Bickfort et vraisemblablement, il n’était pas encore utilisé dans les petites mines de France et de surcroît, celles des contrées les plus reculées.
A-t-on tout au début des travaux de Baubertie encore employé de la vieille poudre noire, utilisée dans les mines à partir de 1613 et constituée d’un mélange de charbon, de soufre et de nitrate de potassium, dégageant beaucoup de fumées ? Il est fort probable que la réponse soit positive car ce ne serait qu’en 1847 que l’on aurait trouvé un autre explosif assez puissant à base de glycérine, d’acide sulfurique et d’acide nitrique. Quant à la “fameuse” dynamite d’Alfred Nobel, beaucoup plus explosible et fiable, elle remonte seulement à 1866 et la poudre sans fumée, une invention d’une portée déjà considérable, de Paul Vieille, n’est obtenue qu’à partir de 1884, avec de la nitrocellulose, puis de la Cheddite vers 1909, au commencement de la mise à feu électrique des explosifs.
Assurément, les opérations de dynamitages, qui avaient pour objectif l’abattage à l’explosif des parois rocheuses dans le creusement des galeries afin de permettre l’extraction des substances minérales, étaient et sont toujours dangereuses, si toutes les règles de sécurité ne sont pas respectées. Malgré cette dangerosité évidente, toutes les mines n’avaient pas un “Bout-Feu”, comprenons par là un spécialiste en explosifs pour placer les “mines” ; leur délicate manipulation revenait alors à un chef-mineur, ou dans les petites mines, à un ouvrier autorisé de par son expérience du métier.
Voyons encore quelque peu les procédés techniques requis du temps de l’exploitation de la mine de Baubertie, notamment la préparation d’un tir de “mine”. Après avoir fait couler de l’eau pour rafraîchir la pointe des fleurets, une première opération nécessitait le passage d’une curette, une tige de fer incurvée en forme de cuillère, pour récupérer la pâte produite par la roche finement pulvérisée. Ensuite, il fallait sécher convenablement les trous de mines, avec du papier ou à défaut de la mousse sèche, ou encore des résidus de chanvre. Puis les parois des trous étaient enduites d’argile grasse battue. Lorsque celle-ci était sèche, on glissait de la poudre dans les cavités et on tassait avec un bourroir en bois. Dans la poudre, on enfonçait une épinglette, sorte de tige de cuivre terminée par un anneau. Ensuite, il fallait colmater le tout avec une pelote d’argile grasse, puis retirer l’épinglette pour y faire pénétrer à la place des petits cornets de papier enduits à l’intérieur de poudre durcie et reliés à une mèche de coton soufré, auquel le mineur mettait le feu.
Une autre difficulté majeure revenait à respecter un schéma de tir, de forer les trous de mines en une disposition particulière dite “en bouchon conique”, c’est-à-dire inclinés de façon convergente. Les mineurs devaient, alors, forer de biais par rapport aux parois, dans une position inconfortable. Il était aussi habituel de laisser des trous sans explosif, au voisinage du centre du front de taille, qui jouaient un rôle de surface de dégagement en permettant l’expansion des roches. De différentes longueurs, les mèches autorisaient, ainsi, des tirs dits avec “retard”, un procédé ancien avantageant d’abord le “dégraissage” puis “l’équarrissage” dans l’avancement de la galerie. Pour cela, il était souhaitable que les débris des premières explosions ne coupent pas les mèches des charges explosives suivantes. Enfin, lors de ces tirs groupés, les mineurs ne pouvaient trop s’éloigner, car ils devaient vérifier que le nombre de coups partis correspondent à celui des mines posées. Les charges inexplosées dites : “long-feu” étaient des incidents souvent meurtriers, si les mineurs s’en retournaient trop tôt au front de taille. Normalement, ils étaient tenus de respecter un délai d’une heure, avant le retour au chantier d’abattage. Pendant ce délai, ils s’employaient sur un autre niveau de la mine.
Nous l’avons dit, à défaut de pouvoir convenablement sortir les eaux, les mineurs étaient, de plus, non seulement dépourvus de vêtements de protection, mais c’est aussi en sabots qu’ils travaillaient dans des galeries rendues boueuses. Pour des petites mines, comme celle de Baubertie, non équipées de wagonnets, la masse minérale, ainsi que ses parties stériles, étaient roulées vers l’extérieur avec de simples brouettes, appelées “chiens de mines” par les mineurs. Dans les parties de galeries trop étroites, c’est au “coltin” que s’effectuait l’évacuation des produits, des “paniers de mines” portés alors en équilibre sur l’épaule, d’où le nom de : coltineur. Leurs encombrements obligeaient les mineurs à marcher courbés sans compter déjà le poids écrasant de la charge de 50 à 80 kg et les problèmes de dos, comme on peut l’imaginer, dus au portage.
Les éboulements subis et fréquents de la “couronne” des galeries, qui devaient meurtrir bien des mineurs et endeuiller bien des familles, étaient, en partie, dus à un éclairage insuffisant pour travailler en meilleure sécurité dans la nuit ténébreuse des galeries. Le métier de mineur incarnait vraiment une descente aux enfers. Cette obscurité presque complète empêchait, donc, les ouvriers d’évaluer l’instabilité des voûtes des galeries, due aux fissurations après les tirs d’explosifs. Ils avaient, en effet, pour tout éclairage, et cela encore à l’époque de la France Moderne, de rudimentaires lampes à feu nu fonctionnant avec du suif ou de l’huile de noix et qui enfumaient beaucoup, rendant ainsi l’atmosphère des galeries difficilement respirable, en plus de la fumée des explosions de dynamite qui était longue à se dissiper.
Vraisemblablement, on utilisait à Baubertie un mode d’éclairage correspondant à un type de lampe domestique très généralisée dès le XIIIème siècle. Il s’agissait d’une lampe du nom générique de “quinquet” constituée d’une coupelle de fer plus ou moins profonde, munie d’une potence servant de crochet et d’un couvercle. Ces lampes étaient le plus généralement remplies de graisse (suif), l’huile étant plus chère, dans laquelle était plongée une grossière mèche de chanvre.
La lampe “Rave” ou dite de Saint-Etienne, pas vraiment d’un meilleur éclairage mais plus pratique car fonctionnant à l’huile, apparut vers 1820. Elle ne fut certainement pas introduite à Baubertie, du moins au début de son exploitation, son prix étant trop élevé et par la même, la diffusion des techniques trop lente.
Partageant tout à fait les considérations de Michel Bonnot, on peut difficilement concevoir qu’un tel éclairage, avec de l’huile ou du suif, servait à éclairer un cercle utile d’un mètre de diamètre au grand maximum, ce qui correspond sensiblement au rayon de frappe d’un pic ou d’une massette. Personnellement, pour avoir fait des essais dans des conditions réelles en galeries, avec des lampes fonctionnant effectivement avec ces substances d’origine végétale et animale, il apparaît que cette lampe offre une très faible intensité lumineuse permettant à peine la distinction des minerais, certaines roches grises métamorphiques absorbant plus du tiers de la luminosité.
Après quelques années de mine, des mineurs se trouvaient atteints par le “Nystagmus”, une maladie des yeux provoquant une oscillation courte et saccadée de la vue, plusieurs devenaient également anémiques, “une anémie dite d’Anzin” toujours à cause du manque de lumière. La lumière artificielle dans les mines métalliques s’améliorera sensiblement vers 1900, avec les lampes au carbure de calcium, toujours à feu nu, mais bien moins fumantes et d’une autonomie de fonctionnement assurant un poste de travail de 8 heures. Les premières lampes à carbure utilisées en France apparurent très vraisemblablement dans le District à Antimoine de Brioude-Massiac, où ces lampes équipaient, dès 1905, la mine d’Ouche. Ce type d’éclairage fut employé depuis peu (1899) pour la première fois en Allemagne.
Dans les houillères, la légendaire lampe de Davy ne commença à se généraliser qu’après 1826. Elle n’était d’un éclairage guère meilleur que la lampe à huile, mais elle était bien moins fumante, puisqu’elle fonctionnait à l’essence minérale (benzine). Cette lampe, dite de sûreté, beaucoup plus chère que les ordinaires modes d’éclairage à huile, notamment, sera utilisée, en particulier, dans les mines de charbon en raison du grisou, un gaz très explosif inexistant dans les mines métallifères.
Il est évident que les mineurs des “Monts Métalliques” s’exposaient avec résignation, comme ceux des grands bassins houillers, aux blessures et maladies qui faisaient corps avec le métier : d’abord les éboulements, qui les faisaient mourir étouffés sous le poids des terres écroulées, puis enfin les poches d’eau qui les précipitaient sans autre recours vers une fatale noyade, les poussières de la pulvérisation des roches siliceuses étaient si pernicieuses qu’elles leur provoquaient des inflammations et des suppurations aux paupières, ainsi que des redoutables maladies pulmonaires en les exposant, d’abord, à un asthme invalidant, avec souvent des crachements de sang, puis les entraînant, le plus souvent, dans une mort atroce par étouffement, cela même dans la force de l’âge.
Avec la rançon de ce travail de forcené qu’était la mine, confrontés à une insécurité permanente, les mineurs s’exposaient aussi bien à la fatigue qu’à l’usure excessive de leurs ressources physiques, liée à l’usage de leurs outillages. Par exemple, le maniement de la massette à la volée exposait plus dangereusement les yeux aux particules de l’éclatement des roches. Par la suite, ce fut l’invention du marteau pneumatique qui mutilera encore plus les bras, ébranlant tout le corps, au point de provoquer des hernies inguinales et dorsales. L’atmosphère des galeries, toujours saturée de poussières, leur infligeait une soif inextinguible, leurs corps se trouvant alors dans un état de transpiration perpétuelle, à peine vêtus dans une humidité permanente qui aggravait leurs fragilités pulmonaires et les courants d’air des galeries les exposaient à des refroidissements mortels.
Une habitante âgée du hameau des mines d’Antimoine de Pressac, près de Blesle me relatera, encore submergée par une certaine réaction affective, le décès de son jeune voisin à l’âge de 38 ans, mort par étouffement dans d’atroces souffrances. Atteint de silicose, il avait travaillé une douzaine d’années au “rocher” à l’aide d’un perforateur à air comprimé, non encore muni d’un système de pulvérisation d’eau, atténuant les particules très fines de poussières qui prennent à la gorge, saupoudrent tout le corps et collent à la peau avec la transpiration.
Dans les contrées rurales, la main d’œuvre des mines se composait essentiellement d’agriculteurs-mineurs. En dehors de la période des travaux des champs, ils allaient travailler “la mine”, désireux de gagner plus largement leur vie. Dans l’Ancien Régime, 85 % au moins des Français sur une population de 35 millions d’habitants sont des ruraux, à la fois par leurs habitats et leurs occupations, ce qui démontre une domination encore écrasante de l’économie agricole. Si les activités industrielles sont “secondes”, elles ne sont toutefois pas secondaires car ce sont les industries du textile qui dominent de très loin l’économie du pays, leur diversité étant totale aussi bien sur le plan géographique que sur celui des productions. Vers 1830-1850, le salaire moyen dans l’industrie est de 1,80 francs journalier pour les hommes, 80 centimes pour les femmes et de 50 centimes pour les enfants.
A partir de 1803, les ouvriers devront obligatoirement posséder un “livret-ouvriers” établi comme pièce d’identité par le maire de leur commune de naissance, sur lequel les employeurs étaient tenus de faire figurer la justification d’un emploi. Autrement, soumis à un contrôle de la gendarmerie au cours d’un déplacement, ils pouvaient faire l’objet d’un emprisonnement pour vagabondage. Ces livrets comprenaient des renseignements pratiques : une carte de France, une liste des chefs-lieux départementaux, des indications sur leurs droits dans les accidents du travail, sur l’épargne et sur la retraite.
Pratiquement toutes les exploitations minières employaient des femmes. Le plus souvent, elles travaillaient par tous les temps sur le carreau des mines : l’été sous un soleil de plomb, l’hiver les doigts meurtris par le gel, jusqu’à l’arrivée de la neige. Généralement, elles étaient affectées au tri des morceaux de minerais échappés aux mains des mineurs, dans la pénombre des galeries. Ce n’était pratiquement que des veuves, souvent aidées à cette rude besogne par leurs enfants, autant des garçons que des filles, dès leur septième ou huitième année. On remarque, dans les haldes des Mines d’Or de Bonnac près de Massiac, des tas de menus morceaux de roches quartzeuses, minutieusement cassées par les trieuses, pour ne pas laisser la moindre partie minéralisée.
Des femmes, encore, assuraient le tri mécanique dans de bruyants ateliers de bocardages, pour le concassage de la gangue rocheuse et des substances minérales qui y sont liées. Cette opération s’effectuait avant le passage au bac gravimétrique en laverie, où les tables dites à secousses séparaient, ensuite, par densité les minerais des parties stériles.
Déjà précisé, le filon de Baubertie prédomine d’une minéralisation Arsenicale à Mispickel, relativement en abondance, soit en larges plages, soit en très minces filets, qui traversent la gangue en tous sens, dans une roche quartzeuse blanc laiteux. Ce sulfoarséniure de Fer ordinairement de couleur gris/acier se révèle cependant dans ce gîte être fréquemment altéré en Scorodite. En effet, cet Arséniate de Fer hydraté se rencontre dans les zones oxydées des gisements métallifères et il est reconnaissable à sa couleur vert clair à verdâtre. A remarquer encore, avec le Mispickel, des inclusions de Chalcopyrite. Rappelons que ce sulfure de Cuivre et de Fer est d’un beau jaune-or, pouvant aux premiers abords légitimement troubler toutes personnes non averties en minéralogie.
Citons, également, de la Pyrrhotine (sulfure de fer), minéral à l’exemple du Mispickel, particulier aux gisements de hautes températures. Comme nous le fait remarquer J.J. Périchaud, conséquemment à l’altération de la Pyrrhotine, on retrouve un peu de Pyrite et de la Marcasite, (tous deux sulfure de fer), qui, d’ordinaire, est plutôt rencontré dans les filons de basses températures. A noter des plages de Covelline (Sulfure de Cuivre) reconnaissable par sa couleur bleue et ses teintes pourpres à noires, mais aussi de la Scheelite (Tungstate de Calcium) et du Wolfram, sous forme, notamment, de Wolframite, (Tungstate de Fer). Enfin caractéristiquement, tous ces minerais se sont déposés en veines suivant le plan de fracture du filon.
Baubertie possède une originalité : parmi les minéraux du Tungstène, se trouvent des traces cryptocristallines de Tungstènite, un minéral très rare décrit seulement dans un ou deux gisements dans le monde et, pour la première fois en France découvert par Paul Picot, chef du Laboratoire d’Etudes des Minerais, service de Minéralogie du B.R.G.M. Ce spécialiste français de réputation internationale, attribue, avec certitude, à la Tungstènite une origine secondaire.
Hormis pratiquement l’Arséniopyrite (Mispickel), la Scorodite, la Chalcopyrite et la Covelline, les quelques autres minéraux relatés ne sont que bien visibles dans leurs cavités géodiques, à l’aide de la loupe binoculaire, ne pouvant, de ce fait, qu’intéresser tout particulièrement les amateurs de microminéraux. De part leurs dimensions microscopiques, ils ont certainement dû échapper à l’observation des minéralogistes et des exploitants du milieu du XIXème siècle, notamment concernant la Tungstènite. Ce minerai d’une infime quantité ne se révèle de surcroît d’aucune valeur minière économiquement parlant ; rarissime donc, comme nous l’avons souligné, il ne fut par conséquent que très rarement décrit. On trouvera sa description dans l’ouvrage collectif de : P. Bariand, Conservateur de la collection de minéraux de l’Université Pierre et Marie Curie, de F. Cesbon, Maître assistant à la même Université parisienne et de J. Geffroy, Ingénieur géologue au Commissariat à l’Energie Atomique. Selon les auteurs, la Tungstènite a été définie à la mine Emma, près du grand Lac Salé (Utah) dans un filon quartzeux à sulfure type : Blende - Galène - Pyrite - Tétrahédrite et Wolframite.
Avec la présence de la Tungsténite, d’une minéralisation singulière à sulfosels, on ne peut que mieux “glorifier” le District Minier de Brioude-Massiac, d’une originalité minéralogique comparable à la fameuse région minière saxonne des “Monts-Métallifères” de l’Erzgebirde, où les gisements se montrent aussi variés. Par ailleurs, les paysages sont parfaitement semblables, avec une succession de collines et de plateaux s’élevant régulièrement jusqu’à plus de 1 000 mètres.
Sous quelle forme peut-on découvrir la Tungstènite, minéral “vedette” de cette petite exploitation minière ? Selon les minéralogistes précédemment cités, c’est un élément du système hexagonal avec une structure et un aspect identiques à la Molybénite. Par contre, il possède des lamelles très petites ou microscopiques. A Baubertie, la Tungstènite est proprement incluse dans la Scorodite, restant, nous l’avons dit, un indice sans valeur économique, alors que le Tungstène est un minéral stratégique par ses applications pour les aciers spéciaux. Par ailleurs, la présence du Wolfram à Baubertie tend encore à démontrer, génétiquement et d’une manière classique, une éventuelle intrusion granitique. L’intensité thermique et la nature des gaz libérés de cette roche Plutonique : fluides, chauds et denses (donc liquides) doivent jouer un rôle important pour aboutir à une minéralisation Tungstènifère, déposée selon Christian Marignac, maître de conférences à l’Ecole des Mines de Nancy, probablement autour de 300-350°C, pas vraiment au-dessus de 400°C.
Pour ce qui est de la minéralogie de la mine de Baubertie, à partir des anciennes haldes, elle est dans l’ensemble très pauvre sur le plan cristallographique et très peu variée minéralogiquement. Cet état de fait traduit, inévitablement, la composante minéralogique du filon. Les investigations nous conduisant vraiment à ne reconnaître que des plages massives de Mispickel et plus rarement de cet Arsénopyrite sous forme cristallisée, avec seulement quelques cristaux de 0,2mm à tout au plus 2mm. La seule phase attrayante, pour satisfaire les amateurs de minéraux, reviendrait à un minéral des gangues, en l’occurrence du Rutile aciculaire en inclusion dans le quartz du filon.
En effet, les échantillons les plus spectaculaires de Rutile rencontrés sont en très fines aiguilles de couleur brun jaunâtre à rouge brun, enchevêtrées dans des cavités géodiques. Certaines aiguilles de Rutile se dévoilent par transparence au travers du quartz : cristal de roche, prenant alors l’expression populaire de : “Flèches d’Amours”, un nom originalement donné par les lapidaires et les amateurs de pierres fines, face à cette disposition particulière du Rutile. L’un des prélèvements est à cet égard digne d’attirer l’attention, puisque une baguette de Rutile transperce un cristal de quartz limpide de 3 mm. Dans ce cas de figure, il faut bien reconnaître que le règne minéral immortalise Cupidon. Toujours à l’échelle microscopique, d’autres cristallisations en prismes striés allongés de cet Oxyde de Titane d’une égale finesse, ne dépassant pas 4mm de longueur, prennent le nom de “Cheveux de Vénus”, par leurs arrangements particuliers en touffes aciculaires ; reconnaissons-là, le Rutile glorifiant l’éternel féminin.
On sera encore attentif à la gangue quartzeuse, pourvue d’une façon abondante de très fines aiguilles de Tourmaline, en agrégats de cristaux allongés radiés et tournés l’un par rapport à l’autre. On y reconnaît la variété Indigolite avec des cristaux de couleur bleue à vert bleuâtre, ainsi que la variété dite Schorl, à éclats vitreux noir luisant et pléochroïque. Comprenons à ce phénomène optique que la couleur est changeante selon l’angle sous lequel on observe l’échantillon. Ce minéral du groupe des silicates pourrait apporter une confusion avec le Rutile, mais sa couleur, son éclat et sa section typiquement losangique font la différence. Bien que de haute température, la Tourmaline se rencontre le plus généralement dans les Pegmatites et moins souvent dans les filons quartzeux, même lorsqu’ils sont liés à une genèse de minéraux de haute température.
Pour en revenir aux minéraux métalliques, qu’en est-il réellement de la présence d’Or à Baubertie ? Nous l’avons dit, le mot “Aurifère” est mentionné dans le fascicule des actionnaires.
Après avoir effectué de nombreuses observations microscopiques sans résultat probant sur des échantillons de Mispickel, qui souvent véhiculent l’Or, pour pouvoir encore au mieux “débusquer” le précieux métal jaune, il s’imposé à mon sens une prospection alluvionnaire à la batée sur le parcours du ruisseau de Baubertie, qui recoupe le filon. Ce ruisselet, d’une longueur tout juste de 1 kilomètre 600, prend un régime torrentiel avant de rejoindre le Barthonnet à la hauteur de l’ancienne fonderie.
De l’Or natif, même en fines granules, n’a pu être mis en évidence, par concentration des sédiments à la batée, alors que de comparables essais se sont révélés positifs sur des gisements où de l’Or en plages libres dans le quartz ne se décelait nullement à l’œil nu dans des sulfures de même nature qu’à Baubertie.
Inévitablement, les fonds de batées devaient fournir des renseignements sur les éléments minéralisateurs du filon, dont de nombreux granules argentés de Mispickel, mais aussi des minéraux de son cadre géologique, surtout du Volcanisme : Péridots, Amphibole, Augite, Magnétite. Dans le socle Cristallophyllien encaissant, on trouve les minéraux suivants : Grenats, Zircons de couleur rose clair en forme de goutte d’eau, des grains de Rutile ; de plus, régionalement l’oxyde de titane est un minéral commun des Amphibolites à Hornblende.
Toujours à propos de la présence du métal jaune dans la contrée d’Anzat-le-Luguet, on ne peut que s’interroger sur les notes de F. A. Barthomeuf, répertoriées sur son cahier de comptabilité, alors qu’il entreprenait des travaux de recherches sous le hameau d’Apcher, sur un filon par ailleurs placé en dehors de la concession de la mine de la Forge. Sur ce document comptable, il est en effet question, sans plus de précision, d’expédition de “Pépites” pour analyse à Paris.
Dans le début des années 1970, avant les travaux de rénovation, une vitrine du musée Henri Lecoq de Clermont-Ferrand abritait de gros échantillons xénomorphes de minerai d’Antimoine, accompagné d’une étiquette avec la mention : Or sur Antimoine et de la provenance : Anzat-le-Luguet. A l’époque, l’éclairage des locaux laissait à désirer ; il n’était donc guère possible de faire une excellente observation, d’autant plus que les deux échantillons concernés étaient placés en hauteur il fallait donc, en plus d’avoir une très bonne vue, pratiquer une certaine acrobatie pour se maintenir sur la pointe des pieds, afin de pouvoir éventuellement distinguer le métal jaune.
F. A. Barthomeuf devait laisser le souvenir d’un homme distingué, portant moustache et chapeau claque, et il ne passait certes pas inaperçu car il était toujours accompagné d’une musette et d’un petit marteau pour le prélèvement d’échantillons. Il se rendait à la mine d’Apcher par le train depuis la gare de Brioude jusqu’à la station du Babory de Blesle, pour prendre ensuite la correspondance d’Anzat qu’assurait le dénommé Ferrandier, aubergiste-voiturier en la localité de la grande montagne du Cézallier. C’est aussi chez cet aubergiste qu’il s’installait lors de ses séjours à la mine. Sur l’agenda de F. A. Barthomeuf, était reporté l’envoi de lettres à l’intention de Lassalle. On peut alors se demander s’il avait l’intention de s’associer avec cet industriel de l’Antimoine ou simplement de lui vendre ses produits miniers. Enfin, sur une carte de la région d’Anzat-le-Luguet, il avait répertorié une trentaine d’indices minéralogiques.
Dès 1838, à la suite des premiers travaux de la mine de Baubertie, fut construit, dans le ravin du ruisseau du Barthonnet, un atelier de traitement du minerai Arsenical. Cette activité rurale dans le traitement des matières premières s’inscrit parfaitement dans le concept de l’époque, c’est-à-dire utiliser sur place les ressources, qu’elles soient forestières, charbonnières ou d’eaux vives. Si le moulin à eau était médiéval par sa véritable fonction, l’énergie hydraulique a déterminé fortement l’implantation des usines sidérurgiques, qui fut même prépondérante, de même pour les filatures qui furent fondées sur l’énergie hydraulique. Un canal sera utilisé pour amener à la fonderie de Baubertie l’eau nécessaire à une roue à palette, la technique-hydraulique assurant le fonctionnement du lourd martinet (le bocard) et le soufflet des fours pour la fusion, installations malheureusement totalement disparues aujourd’hui.
Ce complexe métallurgique de pierres grisâtres se composait d’un seul corps de bâtiment de moyenne importance, une soixantaine de mètres carrés de superficie, relativement haut de 12 mètres, adossé à une grande cheminée également d’aspect granitique. Quant à sa structure de couverture, fut-elle de chaume ou plutôt de matériaux incombustibles comme la lauze, une variété de roches métamorphiques du pays, cela reste indéterminé. Bien que le paysage ne soit pas le même, cette petite construction est à la fois du même style et aussi sévère que les nombreuses “Cornish Engines” se dressant encore sur les falaises des landes de Cornouailles. Ses bâtiments aux cheminées de granite, de la période Proto-Industrielle, lui sont en effet contemporains. Ils abritaient les machines à vapeurs des mines à minerai métallifère, des grands districts miniers de la péninsule des Iles Britanniques. Ils sont aujourd’hui d’une architecture “MARQUEE” d’une époque, une “signature” culturelle de la “Révolution industrielle”, vouée au Patrimoine Industriel et à l’Architecture de l’Industrie. Ces deux disciplines sont d’ailleurs entrées, et cela depuis une douzaine d’années, à l’université, à Paris 1, pour la première avec pour maître assistant : G. Monder, et à Rennes 2, pour la seconde, avec pour maître assistant : J.Y. Andrieux. L’exemple nous vient d’Angleterre dès 1970.
On découvre les vestiges de la fonderie de Baubertie, à l’endroit d’un profond et abrupt ravin, sur un petit replat en partie naturel d’une superficie de tout au plus : quatre cent cinquante mètres carrés, surface contraignant un agrandissement par adjonction de nouveaux bâtiments. Cette étroite bande de terre prend naissance au confluant des ruisseaux de Baubertie et du Barthonnet, dont une autre partie est constituée d’une levée de terre de développement linéaire, maintenue et protégée par un muret construit de grosses pierres formant une digue de protection contre de fâcheuses inondations. Cette digue fait preuve d’ingéniosité car, partiellement, y est aménagée la conduite de force pour la roue hydraulique.
L’accessibilité est particulièrement difficile pour atteindre ces vestiges : d’une part le dénivelé est d’ailleurs considérable : 180 mètres, sur une distance seulement de 400 mètres depuis Baubertie et d’autre part, par sa dissimulation, cette friche industrielle, où la vie semble s’être arrêtée, nous ferait plutôt penser à une “fabrique” occulte d’un autre temps, car il y a un évident changement de “décor”. L’endroit étant humide, il s’y développe forcément une végétation drue, qui dérobe une perception d’ensemble. Malgré tout, on parvient à dénombrer les anciens bâtiments en ruines : nous supposons reconnaître le logement du directeur, la cantine et le dortoir du personnel. Une construction écroulée, placée un peu plus en amont, semblerait plutôt correspondre à l’ancien moulin dit de Venot, utilisé seulement pour moudre les épis de seigle, édifié -pensons-nous- antérieurement à la fonderie et dont le canal d’amenée d’eau aurait été réaménagé.
Cette installation d’enrichissement et de traitement du minerai est d’une conception du genre le plus classique pour l’époque, répartie en deux laboratoires : le premier sevant d’atelier réservé au traitement mécanique comprenant un bocard et une laverie gravimétrique, et le second contenant les fours.
Dans le premier atelier, techniquement dénommé en termes miniers de “voie humide”, la substance minérale et sa gangue rocheuse passaient d’abord dans un débourbeur cylindrique oblique. Il s’agissait d’une machine munie d’un mécanisme constitué d’une “vis” hélicoïdale faisant avancer le minerai et la gangue vers la sortie de l’appareil après qu’un courant d’eau en ait débourbé les matières argileuses et la terre. Pour les installations plus ordinaires, le minerai était placé dans des paniers suspendus dans l’eau d’un bassin appelé le “patouillet”, où des mouvements oscillatoires exercés sur des nacelles en osier le débourbaient également, le lavaient et le débarrassaient des terres. C’est ensuite qu’intervenait le bocardage, opération qui consistait au concassage du minerai et de sa gangue quartzeuse avec un martinet, un gros marteau entraîné mécaniquement par la force hydraulique, se composant généralement d’une batterie de pilons constitués de poutres verticales, munies à leur base de lourds sabots de fonte, réduisant à sec la matière minière, en une poussière grossière. Le minerai et la roche stérile, passaient ensuite sur des tables à secousses, par ordre de densité ; alors les deux éléments (la gangue et le minerai) se séparaient, après avoir préalablement subi un calibrage dans un trommel rotatif.
La substance minérale ainsi obtenue, rejoignait la seconde partie de la bâtisse réservée au traitement du minerai dit par “voie sèche”. C’est dans ce local que se trouvaient les fours, des “fourneaux” assez rudimentaires, par rapport aux traitements métallurgiques des minerais d’aujourd’hui. On n’en était, toutefois, plus à l’époque des “Athanors” des Alchimistes et encore moins à celle des forges de Buffon. Le grand mathématicien-métallurgiste du siècle des lumières devait écrire, en substance, à propos de l’Arsenic, dans son sixième tome de l’Histoire des Minéraux : “ce sel âcre et corrosif est l’un des plus puissants minéralisateurs par l’action qu’il exerce sur les métaux...”, considération parfaitement admise aujourd’hui. Ceci signifie que l’Arsenic joue un rôle de transport des métaux et reste, ainsi, combiné à ces derniers dans les gîtes. De plus, en quantité variable, une centaine de minéraux contiennent de l’Arsenic ; ainsi on peut, en effet, accorder à cet élément la notion de “minéralisateur”, égale à celle du Soufre, qui par ailleurs se combine aisément à l’Arsenic. Enfin l’Arsenic est le plus souvent lié à des concentrations économiques en Or, ce qui en fait un bon traceur de ce métal.
Le livret publicitaire remis aux actionnaires nous renseigne quelque peu à propos de ces appareils métallurgiques équipant la fonderie de Baubertie, à savoir : deux fourneaux pour le grillage et deux pour la purification, ainsi qu’un condensateur pour la récupération des gaz. Il n’est pas précisé si les fours de grillage sont à moufles ou à réverbères, et peuvent, en oxydant les minerais d’Arsenic, fournir de l’acide Arsénieux sous la forme de poudre impalpable, un produit à forte valeur commerciale, comme le stipule le document. Les fours de purification provoquaient une distillation de l’acide Arsénieux, lequel purifié, parvenait à l’état solide. Rappelons qu’à 400°, sous une pression atmosphérique normale, l’Arsenic passe directement de l’état solide à l’état gazeux (sublimation), le stade liquide ne pouvant être obtenu que sous forte pression : 96 atmosphères et à 817°, son point de fusion.
C’est par le rapport de Baudin, dressé en 1844, que nous parviennent des précisions sur cette installation métallurgique, qui se composait en réalité d’une sole de moufles et de creusets en fonte. Toujours d’après l’ingénieur Baudin, cette usine était d’une nouvelle invention, réalisée par la chaudronnerie Berbier-Daubrée à Clermont-Ferrand. Comme la mise en activité de l’usine de Baubertie tardait, les premiers essais de la transformation de minerai Arsenical de cette mine auraient été faits quelques mois plus tôt à l’usine de Brassac, dont les fours de grillages étaient identiques, car conçus par la même fabrique clermontoise.
Dans la période relative à l’activité de la mine de Baubertie, il était pratiquement impossible d’extraire l’Or des minerais dit “réfractaires” à l’exemple du Mispickel, alors que, pour l’Or libre dans le quartz, un simple broyage pouvait suffire pour séparer le métal de cette roche siliceuse. Après cette opération, s’ensuivait un tri gravimétrique par des tables à secousses et d’amalgamations.
Ce petit complexe métallurgique est déjà en ruine au début du siècle, une destruction évidemment liée au temps, comme en témoigne une carte postale qui nous montre au mieux l’ossature des murs seulement comme nous l’avons souligné, la cheminée est restée debout, malgré le fait qu’elle accuse un mouvement de fléchissement amorcé dans sa partie supérieure, une circonstance qui ne met pas pour autant, dans l’immédiat, l’édifice en péril. Sa construction à pans carrée et pyramidale atteste un ouvrage de bâtisseurs de cathédrales. Sa base est construite de grosses pierres, des moellons de roches gneissiques tirés sur place, équarris en gros appareil, puis soigneusement ajustés sans joint de maçonnerie. En Provence, ce mode d’assemblage en “pierres sèches” est communément appelé une “Borie”, un nom coïncidant avec le patronyme du concepteur de l’édifice : Henry-Jules Borie, qui n’était pas un moindre ingénieur de son temps. Il est l’inventeur dès 1847, des toits terrasses des immeubles, anticipant de cette façon les grandes idées Corbusiennes.
De cette remarquable cheminée, notons les deux embouchures des anciens carneaux, en arcs rayonnants, parfaitement empruntés au style gothique. Ce sont par ses ouvertures à arcature plein cintre que sortaient les fumées des fours. A mon sens, il serait intéressant de rechercher dans la cheminée d’éventuels produits de néoformations, qui se développent comme les minéraux naturels. Les gaz chargés en métaux Arséniés, ont, de toute évidence, tapissé le jointement des pierres de construction de la cheminée, mais l’embouchure des carneaux, à une hauteur de 11 mètres, pose vraiment problème pour les atteindre en toute sécurité.
Ce vertigineux “obélisque” d’une hauteur de trente-trois mètres ne devait par contre nullement impressionner un petit ramoneur du pays, plutôt habitué aux cheminées des grands immeubles parisiens. En effet, le jeune Jean-Louis Salsac, habitant Anzat, âgé seulement d’une dizaine d’années, ne trouvait pas mieux, pour montrer son audacieux courage, que de gravir la cheminée par l’intérieur. Pour y parvenir, il se recroquevillait le dos en appui contre une paroi et, à la force des mains et les pieds agrippés sur celle lui faisant face, il parvenait ainsi acrobatiquement à grimper jusqu’à son sommet. Après quoi, il s’y maintenait fièrement debout et se faisait applaudir, son ardiesse créant, en plus, l’ambiance. Ce petit “casse-cou” n’avait vraiment pas la “trouille au ventre”, car, à maintes occasions, il renouvela son exploit, qui demeure dans la mémoire collective du pays un siècle après.
Malgré son très jeune âge, Jean-Louis Salsac, faisait partie de ces “professionnels” de la migration temporaire, comprenant surtout des montagnards, des hommes pauvres accrochés à leur terre, mettant à profit la longueur de la saison froide où la terre sommeille, pour aller chercher plus ou moins loin des ressources complémentaires. Beaucoup étaient des célibataires car, une fois mariés, les hommes se déplaçaient moins, dans la mesure où, à ce moment-là, femmes et enfants restaient au village, comme en temps de guerre. Le phénomène “migratoire” est très ancien et particulièrement développé au XIXème siècle. Il concernait, chaque année, plusieurs centaines d’hommes du Massif Central ; dans certaines communes du Cézallier, il s’agissait du quart ou même du tiers de la population qui s’expatriait pour améliorer comme, nous l’avons dit, leurs conditions de vie individuelles ou familiales. Leurs activités étaient les moissons, les vendanges, la récolte des betteraves et bien d’autres occupations dans les villes proches, garçon de café à Paris, marinier sur l’Allier, ou encore occupé au curage des fossés, au ramonage des immeubles “Haussmanniens” pour les plus intrépides. Rappelons que la restructuration de Paris, par un urbanisme planifié et avec les axes majeurs élargis, confié au baron Eugène Haussmann, préfet de la Seine, revient à Napoléon III, qui voulait transformé Paris en cité d’Europe... la plus moderne.
Sans plaisanterie de mauvais goût, Jean-Louis ressemblait plutôt à un petit “négrillon” par le visage et les mains noirs de suie, plutôt qu’à un vacher de son âge “bon teint”, la “frimousse” fraîchement cuivrée par les étés passés. Il partait à Paris comme on disait :“faire la Ramoune” de novembre à avril, et ne revenait au pays qu’à la belle saison, pour garder les vaches, faire les fenaisons, moissons et battages des céréales. Ecrasé de labeur, il repartait pour la capitale, sous la conduite d’un maître ramoneur, qui devait être, comme bien d’autre, un bien mauvais employeur exploitant sans pitié les petites marmottes, les battant, les nourrissant mal et les faisant coucher dans des hangars malsains et sans chauffage avec pour simple couverture des sacs de suie vides et les forçant à mendier si l’ouvrage venait à manquer. Ainsi fut sa vie parisienne de “gagne-misère” dans les premières années de 1900, avant de partir pour trois ans au service militaire, puis cinq années comme “Paysan-Fantassin” à la “Boucherie de Verdun”, devant, comme partout ailleurs, endeuiller pratiquement toutes les familles de la commune d’Anzat.
Gardons-nous bien dans cette note, d’ajouter une page au “Roman Social”, mais la configuration de la typique société émigrante interpelle beaucoup. Rappelons qu’ils étaient pour la plupart des demi-vagabonds, qui suivaient le rythme des saisons, exerçant des métiers de rues : étameurs, rempailleurs, aiguiseurs, vitriers, porteurs d’eau, alors pratiquement tous Auvergnats ou Savoyards et robustes. Bien d’autres seront décrotteurs de bottes, marchands ambulants d’articles dits “de Paris” ou simplement vendeurs de boutons. Parmi ces marchands, il y avait des colporteurs de littérature qui “forgeaient la culture populaire” par le biais de divers petits livres, dont des ouvrages de médecines populaires ou la vente d’Almanachs. Au fil du temps, quelques-uns de ces recueils se spécialiseront ; ils n’auront plus leur fonction première d’utiles conseils à répétition, liés aux cycles de la vie : calendrier des fêtes, économies domestiques, une compilation de faits étranges et de remarques extraordinaires sur la vie du monde, soins du corps, entretien du bétail ou davantage de purs divertissements. En effet tout au long des années, certains de ces “Almanachs” seront d’un nouveau genre : de véritables organes de Sociétés Savantes, contenant des sujets régionaux historiques, scientifiques et littéraires.
A propos de mendicité, les archives départementales du Puy-de-Dôme nous rapportent la mésaventure survenue au dénommé A. Gison, originaire de Baubertie, arrêté effectivement pour mendicité en 1768 et mis en prison à Fontenay. Le curé Bonnet, prieur de la paroisse d’Anzat, viendra au secours de l’infortuné en faisant parvenir un certificat pour arracher le pauvre malheureux de la prison, afin de prouver qu’il était sorti de chez lui, pour exercer le métier de mercier colporteur. Par ailleurs, le curé d’Anzat faisait ressortir dans sa missive le fait que la mendicité est une situation qui dégrade et démoralise l’homme.
Pour avoir à nouveau à reparler de la cheminée, soulignons qu’elle fut conçue dans les règles de l’art du génie civil. Elle est, par exemple, à mi-hauteur, baguée d’un linteau de maçonnerie, produisant à la fois un élément décoratif sobre et lui garantissant une meilleure stabilité dans sa verticalité au fil du temps. La construction de cette usine métallurgique, sur une “terra incognita” pour de “lointains” actionnaires, (la capitale se trouvant à quinze jours de diligence), n’avait donc rien d’une réalisation fictive. Cependant elle était l’objet d’une arnaque de la part du banquier de la Société des Mines de Baubertie, cela même dès 1840, soit peu après son édification. Ainsi, selon l’ingénieur Baudin, face à l’abandon du gérant de la société qui ne serait plus apparu depuis cette date , les paysans créanciers de la compagnie, auraient littéralement mis l’usine au pillage enlevant, même de force, portes, fenêtres, toitures et tout ce qui pouvait l’être. Nous le verrons, cette situation ne découragea pas un repreneur en 1845 : Ernest Brière de Neuilly, qui reprit également l’usine métallurgique de Brassac et la mine d’Espeluche.
Autrement, la société des mines de Baubertie offrait de sérieuses garanties par les articles 41 et 42 de l’acte constitutif, stipulant la mise en place d’un comité de surveillance composé de cinq actionnaires, dont deux pouvaient résider à Clermont ou dans le voisinage de la mine. Il était alors dans leur pouvoir de visiter l’établissement et de s’assurer par eux-mêmes de la marche des travaux ainsi que de l’état dans lequel se trouvait l’exploitation en général. Voilà de quoi encore rassurer les futurs actionnaires sur le fait qu’il ne s’agissait pas d’une mine et d’une fonderie fantômes.
Malgré une élévation de trente trois mètres, (soit 300 cm de plus que la hauteur minimum exigée pour ce genre d’établissement), cette cheminée ne suffisait pas, selon un octogénaire de Baubertie, à éloigner des prairies et des habitations la retombée du panache jaunâtre des fumées soufreuses et de leurs odeurs caractéristiques d’œuf et d’ail pourris. Les “anciens” lui auraient même affirmé que la mine avait cessé son activité après que la fonderie ait intoxiqué du bétail. Des problèmes de pollution de ce genre ne sont peut-être pas à exclure, mais nous pensons qu’une autre cause peut-être évoquée, si l’on tient compte du rapport de Baudin de 1844, où il était question de “défaillance” bancaire.
Cette installation métallurgique avait fait précédemment l’objet d’une enquête commodo et incommodo, ce qui peut assurément surprendre pour l’époque. Elle fut même soumise aux formalités du décret du 15 octobre 1810, sur les établissements insalubres et particulièrement à celui de l’article 5 de l’Ordonnance Royale du 14 janvier 1815. Cette enquête publique sera publiée dans les organes de presses régionaux et affichée pendant quatre mois, à Anzat-le-Luguet, Issoire et Clermont-Ferrand.
Suite à ce délai légal, un certificat du maire d’Anzat, le sieur Larochette, devait informer le 25 avril 1839 le préfet du Puy-de-Dôme que, conformément aux lois sur les usines et les établissements insalubres, l’enquête commodo et incommodo avait été faite de manière ordinaire. En conséquence, pendant le délai de quatre mois, nulle opposition à cet établissement fut demandée, ni concurrence ne lui est parvenue. Bien au contraire, les habitants de la localité pensaient que sa réalisation serait profitable au pays et la “percevaient d’un bon œil”, même si, par la suite, comme nous venons de le voir, ils auraient eu une vision différente des choses.
D’après la notice à l’adresse des actionnaires, il était inconcevable que, de cette usine, puisse s’échapper dans l’atmosphère la moindre particule d’Arsenic et, dans le cas contraire, il suffisait d’allonger à volonté les condensateurs, jouant le rôle de chambres de détentes. Ce sont ces mêmes conduits qui servaient de chambres de condensation à l’acide Arsénieux. Il est aussi vrai de dire que le traitement de l’Arsenic était particulièrement délicat, complexe et l’on n’en était encore à des procédés techniques non satisfaisants.
Toutes les contrées minières et métallurgiques connaîtront des problèmes de pollutions de l’air, de l’eau, voire de dégradation de chemins. Le district à Antimoine de Brioude-Massiac n’échappera pas à la règle des démêlés judiciaires avec les riverains pour de semblables facteurs de nuisances surtout avec les exploitants agricoles. Ainsi suite à une pollution en 1910 par l’Arsenic provenant de la fonderie d’Auzon près de Brioude, tous les arbres fruitiers d’un horticulteur jouxtant l’usine sont brûlés par les acides.
Sur le même document à la disposition des actionnaires, la sécurité des ouvriers est avancée par le port de lunettes et d’un disque en éponge mouillée sur le nez et la bouche, devant normalement les protéger de tous dangers. Pour se montrer encore plus rassurant, il est rappelé qu’en 1825, le conseil des mines avait jugé ces diverses questions d’exposition aux produits Arsenicaux et que des enquêtes avaient appris que la vie moyenne des ouvriers manipulateurs de ces substances délétères n’offrait pas de différence avec la vie ordinaire.
Il est pourtant évident que les ouvriers employés à l’extraction du minerai Arsenifère dans les galeries souterraines, au broyage et au grillage étaient sujets à des accidents de divers degrés de gravité tels que l’irritation de la peau, se révélant une pathologie apparente. Cependant, il ne semblerait pas vraiment établi que l’exposition à l’Arsenic aurait un pouvoir cancérigène, comme nous le démontrerait une étude faite de 1946 à 1960, sur les causes de mortalité d’ouvriers soumis à une exposition à l’Arsenic du personnel d’une fonderie de l’Etat de Washington. A l’usine “l’Arsenic” d’Auzon près de Brioude, la direction recommandait aux ouvriers exposés aux fumées gazeuses de boire beaucoup de lait pour atténuer les irritations de la gorge.
Un vieux mineur des anciennes mines d’Antimoine du pays d’Ally, dans le district minier de Brioude-Massiac, me fera part combien les boiseurs redoutaient les eaux Arsenicales suintantes sur les parois des galeries, ainsi que la rouille déposée sur leurs scies. En effet, il suffisait de quelques jours d’oxydation pour que les lames se rompent.
Pour en revenir à un important facteur lié à l’activité industrielle, notamment la pollution par les fumées, leurs effets à Baubertie auraient-ils été la principale cause de l’arrêt de la fonderie, plutôt qu’une éventuelle rupture de son approvisionnement en substances minérales ? Cette dernière hypothèse serait cependant la moins
probable, si l’on prend en compte le fait que le carreau de la mine dispose d’une bonne partie du minerai extrait. Il semblerait même qu’une concentration relativement importante de minerai soit encore en place, ce qui semble étonnant pour d’anciennes haldes sensées contenir uniquement des déblais stériles. Parmi ce stock très diversifié que l’on peut évaluer à 140 mètres cubes, des morceaux de gangue se montrent notamment massivement minéralisés en Mispickel. Un sondage pour une recherche de minéraux d’altérations, se formant plutôt en profondeur dans les vieilles haldes, confirmerait l’importance du dépôt minéralisé. Aujourd’hui, des minéraux de néoformations se remarquent aussi dans les galeries, tant sur les boisages que déposés sur les rails et wagonnets et autres matériaux laissés à l’abandon : vieilles trémies, goulottes...
A noter aussi un double cubage de roches stériles, le volume des anciennes haldes ne préjugeant pas toujours de l’étendue réelle des travaux souterrains. En quantité variable, il en fut souvent réemployé pendant l’exploitation, pour combler les vides du dépilage des galeries ou bien utilisé pour l’empierrement de chemins, une pratique courante à l’époque dans les contrées minières.
Evoquer des problèmes de nuisances industrielles dans les contrées rurales dès la première moitié du XIXème siècle peut surprendre, quoiqu’avec l’usine au village, tout y est à la fois : la main d’œuvre et la pollution, méfait du progrès technique, “un étonnement imbécile”, il en va de soi. Mais le constat démontre, une fois encore, le paradoxe de l’intelligence de l’homme pour assurer sa prospérité... son bonheur...
Contrairement aux idées reçues, le dynamisme industriel était, dès le milieu du XVIIIème siècle très développé à la campagne. L’arrière-pays comptait de nombreuses villes papetières et textiles, la pollution des rivières causée par le chanvre et le lin était, par conséquent, considérable. On utilisait beaucoup de plantes textiles pour la confection des toiles et pour les voiles de navires. Ainsi l’industrie textile demeurait-elle de loin la plus importante. Concernant le lavage des minerais, cette pratique entraînait de nombreuses protestations paysannes, surtout pour les cours d’eau de moyenne importance d’un débit lent car les habitants de ces lieux n’avaient point d’autres eaux pour leurs usages, leurs cultures et leurs bestiaux. Des rivières n’étaient plus poissonneuses, les eaux étaient jaunâtres et remplies de rouille de fer, comme aux mines de Poullaouen en Bretagne, mêmes désagréments à Hayange chez de Wendel, et les démonstrations seraient nombreuses jusqu’aux contrées Auvergnates à Antimoine.
En 1908, non loin de Baubertie, précisément à la mine d’Antimoine de Souliac, (commune de La Chapelle-Laurent dans le Cantal), il sera fait un procès à la société minière dite : “La Franco-Italienne” de la part d’un agriculteur ne pouvant plus irriguer convenablement ses pâturages. A Massiac, la même société minière est poursuivie par les tribunaux pour des retombées d’Oxydé d’Antimoine, dans les prairies autour de sa fonderie installée dans le quartier de la gare.
Pour illustrer la quantité de substances polluantes qui pouvaient journellement s’échapper dans l’atmosphère par la cheminée d’une fonderie, reprenons les chiffres des produits rejetés par la mine du Châtelet (Creuse), avant les modifications de sa fonderie survenues en 1910. Pour une production journalière de 100 tonnes de minerais Arsenical, il était projeté dans l’atmosphère chaque jour : 2 500 Kg d’Anhydride Arsénieux et 3000 Kg d’Anhydride Sulfureux accompagnés de 1 à 2 tonnes de poussières Siliceuses. D’évidence, nous sommes en présence d’une pollution considérable, certes en rien comparable avec la production de la fonderie de Baubertie, mais proportionnellement bien réelle. En admettant, par exemple, que pour des raisons pratiques et d’économie d’énergie, il fut regroupé, avant traitement par semaine ou par quinzaine de jours, un contingentement de 500 kg de “schlich”, c’est-à-dire de minerai Arsenical broyé prêt à fondre, cette quantité pouvait produire suffisamment de résidus toxiques directement expulsables par la cheminée, soit des fumées d’Arsenic, d’acides Sulfureux et d’acides Arsénieux, en mélange de Péroxyde de Fer, de Sulfate de Fer et d’Arséniate de Fer. A cela, il faut ajouter une âcre odeur de soufre, contenu naturellement dans l’Arsenic que les vents pouvaient répandre très loin, dans les couches élevées de l’atmosphère du pays verdoyant de Baubertie. Aux mines de Saint-Andreasberg dans le Harz, où l’on grillait dans les même conditions des charges de 200 - 300 kg, la combustion durait jusqu’à une vingtaine d’heures.
D’après les affirmations de Mr Daniel Pallut, le tirage de la cheminée ne serait pas directement en cause. Avec des petits copains d’école, pour occuper un mercredi après-midi, il n’avait pas trouvé mieux que d’allumer un feu de genêts dans la trappe de visite de la cheminée. Il s’en était aussitôt suivi un ardent ronflement, aussi impressionnant qu’un violent vent d’une pression cyclonale, plongeant le petit groupe d’écoliers dans une panique totale, ne sachant que faire pour arrêter le bruyant ouragan. Du fait de son humidité, la cheminée continua à fumer pendant trois jours.
Il est certain qu’avec l’ampleur prise par la “Révolution industrielle”, les fumées industrielles constituaient une forme de pollution extrêmement répandue. Il n’était pas rare que les arbres les plus proches des usines sidérurgiques, verreries et cokeries se trouvent “grillés” par les émanations acides, le reste de la végétation étant totalement recouvert d’une couche de poussière noirâtre, surtout par les fours à charbon de bois. On pensait même, à l’époque, que la fumée était capable de donner la peste. Il convient aussi de considérer les dégâts forestiers ; en effet il fallait grande quantité de bois pour les charbonnières et pour le foyer des fours de nombreuses industries, qui parviendront, avec bien des réticences, à utiliser du charbon minéral.
Le charbon utilisé revenait cher à cause de son coût de transport élevé depuis le bassin de Brioude-Brassac, distant de 70 kilomètres par des chemins montagneux. Ainsi, pour éviter d’en consommer et aussi pour compenser, comme nous l’avons signalé, une pénurie naturelle des massifs boisés des Monts du Cézallier, une région plutôt d’herbages, la société des mines de Baubertie projetait d’utiliser les énergies locales, la Tourbe et la Lignite situées dans le périmètre de la concession. A la mine de Ribas en Espagne, pour 400 kg de minerai Arsenical, il était consommé 200 briquettes de tourbe et 3 hectolitres de houille ; l’opération durait 9 heures.
La tourbe n’est effectivement pas rare dans cette contrée d’altitude, sans que l’on puisse dire pour autant qu’elle y abonde dans les limites de la concession de Baubertie. On situe deux landes de tourbières, formés comme à chaque fois de dépôts sédimentaires composés en partie d’une flore héritée de l’époque glaciaire. Leurs étendues nous paraissent localement bien modestes pour une activité prolongée de la petite usine métallurgique ; par ailleurs, un spécialiste en la matière nous dirait de ces terrains tourbeux de pentes qu’ils sont en phase de “climatie”, c’est-à-dire réduits à l’assèchement. On peut s’interroger sur l’apport énergétique de la tourbe, sur sa transformation sous forme de coke métallurgique. Sa carbonisation en vase clos augmentant en effet considérablement son pouvoir calorifique, elle ne pouvait que mieux convenir pour griller le minerai Arsenical. A titre de comparaison, le pouvoir calorifique de la tourbe noire sèche donne 4 500 kcal/kg, la houille 8 000. En 1845, la production de Tourbe s’élevait en France à 600 000 tonnes par an.
Dans sa partie technique, la “prodigieuse” brochure stipulait une évaluation sur la consommation de bois : un quintal pour obtenir, par grillage, un quintal d’Arsenic; une évaluation curieusement faible, malgré le fait qu’il soit question ici, comme déjà précisé, d’une ancienne mesure de poids. La forêt des Trouveyres composée de résineux et de feuillus, dont une partie seulement est située dans le périmètre de la concession, n’aurait pas pu certainement, à long terme, fournir d’abondantes coupes. Il est fort vraisemblable que son couvert végétal aurait été employé à la fabrication de charbon de bois, d’un meilleur pouvoir calorifique, car plus riche en carbone que le bois naturel, qui contient presque la moitié de son poids en oxygène, diminuant ainsi la quantité de chaleur qu’il peut dégager. En 1845, le charbon de bois fournissait encore, dans la métallurgie, environ 60 % de la production de fonte. A la même période et encore ces dernières décennies, la tourbe chauffait pratiquement toutes les fermes du pays Cézallier. A la fin de l’hiver, par manque de paille dans cette région du Massif Central, elle venait aussi à servir de litière pour les bêtes dans les étables.
Pour le fonctionnement de la petite laverie de Baubertie, en plus du personnel masculin, il était envisagé d’employer des femmes. Quatre suffiraient pour traiter au crible la capacité journalière du bocard, estimée à 30 quintaux de minerais. Pour les fours de grillage, deux ouvriers conviendraient et trois pour les fours de purification. A l’opération finale, il était prévu une production de 10 quintaux d’Arsenic.
Fut un temps, malgré les désastreuses guerres Napoléoniennes, la main d’œuvre ne manquait pas dans la France Impériale. Les journaliers représentaient une population variable, mais toujours importante, ceci à la campagne comme à la ville. Cependant la commune d’Anzat-le-Luguet souffrait, à l’instar des contrées du Massif Central, de climats rigoureux, d’un manque de fertilité des sols et d’un dépeuplement : 2000 habitants en 1850, plus que 1445 dès 1880, avec une accentuation de l’émigration. Par rapport au peuplement maximum du XIXème siècle, le taux de dépeuplement atteignait 75 % dans les années 1960. Au dernier recensement du siècle et du millénaire la commune d’Anzat-le-Luguet ne compte plus que 238 habitants, dont 80 ont plus de 70 ans. En 1960, à Baubertie, il y avait encore 20 personnes, aujourd’hui il n’en reste plus que 6.
Face à l’éloignement des hameaux de cette commune très étendue, on entreprendra une démarche propre à notre société : une école sera construite à Vins Haut vers 1930, afin de répondre au symbole de l’enseignement primaire obligatoire et gratuit. On peut encore admirer ce solide “Séminaire Laïc” du temps des maîtres en uniforme civil noir, les hussards de la République chers à Charles Péguy et de l’encre violette. C’est bâtiment d’un style répondant à une doctrine architecturale bien de l’époque, construit sur le même modèle rationnel, une toiture de quatre pans recouverte d’ardoises, évoquant une solidité à défier le temps. Cette école ferma ses portes en 1975, alors qu’elle avait trente élèves en 1960.
C’est aussi à Vins Haut, hameau d’une position un peu centrée sur le territoire de la commune d’Anzat, que la construction d’une église avait même été envisagée, mais voilà que le projet en resta, dit-on, à une seule pierre amenée de très loin et assurément “guérisseuse”, notamment de la gourme. De plus, il fallait une heure et demie à deux heures de marche aux petits écoliers pour rejoindre l’école, ainsi qu’aux fidèles de l’église du village, situé à huit kilomètres depuis Baubertie, et dont le clocher n’apparaissait pas à l’horizon.
Anzat connaissait une affluence et une animation particulières les jours de foires et de fête patronale à la St Roch, le dernier dimanche d’Août. Dans l’expression populaire, les fêtes votives se trouvant à la fin du mois de Marie ont souvent encore pour dénomination : la Saint “glin-glin”, car elles étaient autrefois liées à la fin des alertes des moissons. Ceci signifie que pendant la belle saison, des guetteurs surveillaient les récoltes du feu, depuis le clocher des églises, une tradition remontant au Moyen-Âge et qui s’est perpétuée dans certaines contrées jusqu’à la fin du XIXème siècle. A Anzat, on avait aussi pour habitude, ainsi que dans de nombreuses autres paroisses, de sonner les cloches à toute volée contre les orages, comme nous en fait part une pièce d’archive de la période révolutionnaire.
Un dépeuplement des “montagnes” se fit ressentir suite à la Révolution industrielle qui réclamait des bras : d’hommes pour le bois et le métal, de femmes pour le tissu et le vêtement. L’émigration économique, qui est d’ailleurs une spécialité cantalienne, a commencé dès le Moyen-Âge, lors de “la campagne d’Espagne” et ne fera que s’accentuer au XIXème siècle. Ils seront nombreux boulangers en Castille et bien d’autres marchands, tous “migrants”, à penser que la notabilité était au bout si tout marchait bien. Certains candidats à l’immigration viendront à répondre à l’appel des colonies et rejoindront “les Français des Iles” et du “Nouveau Monde” : Buenos-Aires avait dès 1830 sa communauté française.
Toutefois, la plupart rejoindra le peuple de Paris, pour travailler dans la première ville ouvrière de France au XIXème siècle, sorte de levier de promotion sociale, où, cependant, 70% de la population vivait dans la précarité. On était au temps où les Champs Elysées étaient le quartier industriel de la capitale et c’est cette “populace parisienne” qui formera les militants quarante-huitards, les “artisans” de la future République. Au lendemain de la guerre de 1870-1871, le dynamisme des nombreux travaux des chemins de fer tels que les terrassements et les ouvrages d’arts procure un débouché supplémentaire aux campagnards en quête d’emploi, une émigration alors, pour beaucoup, définitive. Ce dépeuplement des campagnes prend alors pour nom “l’exode rural” autrement dit une “fuite” vers le travail. Un peu plus tard, du temps dit de “la Belle Epoque”, ils seront nombreux à rêver à leur tour d’ascension sociale, notamment la génération du Front Populaire qui partira pour la capitale Auvergnate, surtout chez le grand manufacturier du pneumatique à Clermont-Ferrand.
Une interrogation se pose concernant la recherche d’ouvriers pour la mine et la laverie de Baubertie, à savoir : est-ce que les exploitants eurent recours à la main d’œuvre des localités circonvoisines ? Un manuscrit daté de 1778, nous explique que, dans la période pré-révolutionnaire, la mine de La Forge, située à deux kilomètres de Baubertie emploie une trentaine de mineurs, dont aucun n’apparaît de la paroisse d’Anzat. Ils venaient des villages environnants : Lusseaud, Leyvaux, Autrac, du Cheylat, et d’autres de bien plus loin : plusieurs dizaines de kilomètres les séparaient de la mine car ils venaient de : Lubilhac, St Just, Mercoeur, Ally, et même de Brioude. Evidemment, les déplacements se faisaient à pieds et les plus éloignés ne pouvaient que loger sur place. Ce recrutement géographique démontrait-il une main-d’œuvre rare ? La mécanisation étant inexistante, chaque exploitation avait grand besoin de tous ces “gens de la terre”. Comme nous l’avons démontré, les entreprises industrielles viendront à drainer vers elles les forces humaines, pour lesquelles le “Pain de l’Industrie” permettait de gagner de l’argent liquide, rapidement et régulièrement disponible.
Suite aux traitements métallurgiques, il était envisagé que l’Arsenic blanc (rappelons de l’acide Arsénieux) soit mis dans des barils en bois de latix d’une contenance de 250 kg et descendus à Brioude. Le transport ne pouvait que s’effectuer sur des chariots tirés par des bœufs ou à dos de mulets, ce qui était assez courant en ce temps. La géographie du terrain faisant un long et pénible cheminement de 50 kms, par de tortueux et mauvais chemins, il fallait nécessairement deux bonnes journées pour couvrir cette distance. Déposé au port de Brioude où l’Allier était navigable, le chargement prenait la direction du quai de Bercy à Paris. La matière Arsenicale était chargée sur des gabardes avec des produits régionaux tels que des vins, des toiles et des cordages de chanvres (à l’époque les câbles des puits de mine sont en chanvre), du charbon, des minerais de Baryte et d’Antimoine, ainsi que la production verrière de Brassac : bouteilles et vitres.
L’Allier était navigable d’octobre à mai, le périple durait 60 à 70 jours. Le prix du transport jusqu’à Brioude de la substance Arsenicale était fixé à 2 francs 50 le quintal et 2 francs pour les 500 kms de rivières et canaux, jusqu’à la capitale, y compris les assurances. Pour la petite histoire, en février 1848, ce fut, dit-on, lors de l’arrivée d’une flottille auvergnate que commença la Révolution, les émeutiers coururent en grève, s’emparèrent des radeaux confectionnés de troncs d’arbres dont les longueurs approchaient les 15 mètres et purent ainsi commencer l’édification des premières barricades.
A présent, revenons rapidement sur les interrogations de l’arrêt de la mine de Baubertie : cette fermeture était-elle due, comme cela l’a été suggéré, à des problèmes de pollution, conséquence d’une incapacité technique à maîtriser le fonctionnement des fours, provoquant, alors, un grillage mal contrôlé du minerai Arsenical et une dispersion de soufre et d’Arsenic par la cheminée ? Ou bien est-elle due à un insuccès imputé à l’irrégularité de la minéralisation, qui détermina la cessation, dès 1842, de son activité, après le constat d’une insuffisance en minerai, ne permettant pas de rentabiliser les travaux réalisés ? En effet aucun autofinancement ne se dégageant, la société n’aurait pu se financer à partir de ses fonds propres, mais n’aurait pu aussi créer des investissements pour la recherche ou encore n’aurait pu distribuer des dividendes aux actionnaires. Ces questions nous amènent à préciser qu’en ses débuts, l’industrialisation nécessitait peu de capitaux. Ainsi le financement fut rarement un problème et en principe, le risque des investisseurs ne dépassait pas le montant du capital. Pour la mine de Baubertie, il est possible que les deux incidences évoquées soient complémentaires ; la durée de la société avait été cependant fixée par les statuts, pour une période de vingt ans.
Concernant la cessation de la mine, on ne doit certainement pas mettre directement en cause une activité peu rationnelle, désordonnée et basée uniquement sur l’empirisme des travaux ; elle correspondait en effet au mode d’exploitation de la majorité des mines de la première moitié du XIXème siècle.
L’année 1848 fait encore date dans l’histoire économique du pays. Nous sommes, en effet, totalement à l’ère des “maîtres de forges”, dont celles des frères Schneider au Creusot. C’est aussi la période de l’expansion coloniale en Afrique et du “manifeste de l’esprit de 1848” finissant par donner le jour à la République, avec Napoléon III pour président. A la même époque, une tentative de redémarrage de la mine de Baubertie est alors amorcée par Ernest Brière, devenu le nouveau propriétaire. Quant à Pierre Boudon, l’ancien concessionnaire, il était décédé depuis 1845, à l’âge de 68 ans.
Pour s’assurer une position plus confortable sur le marché, Ernest Brière, viendra à faire une audacieuse demande auprès du préfet du Puy-de-Dôme, sur le droit d’entrée de l’acide Arsénieux en provenance de l’étranger. Sa requête consistait à augmenter le prix de la taxe, qui était de 1 franc, à 30 francs le quintal métrique, car le prix de revient à Baubertie était de 65 francs le quintal. Cette démarche était soutenue par Baudin, dans une lettre adressée également au représentant de l’Etat, courant mars 1848, lui précisant que les Anglais livraient à plus bas prix cette matière, puisque leurs exploitations de Cuivre la fournissaient presque sans frais. Précisons que près de 400 mines fonctionnaient simultanément en Cornouailles et dans le Devonshire.
Cette protection douanière ou ce fondamental “nationalisme économique” nous ramène à la France de la Restauration et de la Monarchie de Juillet, lorsque le pays s’industrialise et que le grand capitalisme apparaît, ainsi que les mines et chemins de fer. De ce fait, dans son triomphe, la monarchie bourgeoise devint résolument protectionniste et fixa de hauts tarifs protecteurs, car la majorité des industriels du continent redoutait, en particulier, la concurrence de la Grande-Bretagne. Ce pays était alors dominant du point de vue industriel et son commerce extérieur connaissait une croissance constante grâce à l’exportation de produits bon marché.
La reprise des travaux par Brière ne dura que quelques mois. Par la suite, la mine resta dans une assez longue période de sommeil, près d’une cinquantaine d’années pendant lesquelles elle ne fut ni explorée, ni exploitée. Ceci jusqu’à ce qu’un arrêté ministériel de déchéance finisse par être prononcé le 18 septembre 1895, après la mise en demeure des propriétaires deux mois auparavant, afin de reprendre les travaux. Cette décision gouvernementale eut pour conséquence la mise en adjudication publique de la mine, à l’Hôtel de Préfecture de Clermont-Ferrand, le 30 juin 1896, vente publiée dans le Journal Officiel, ainsi que dans les journaux régionaux : La République Libérale du Cantal, Le Moniteur d’Issoire, Le Moniteur du Puy-de-Dôme.
Adjudication infructueuse en première instance, une soumission tardive fera, cependant, jour en octobre 1896, de la part du dénommé Martineau, ingénieur agissant au nom de la Société Française d’Etudes Industrielle, Agricole et Commerciale, 13 rue Drouot à Paris. Cette société exerça-t-elle quelques travaux, avant de rétrocéder la mine neuf mois plus tard, à Charles Moïse, minéralogiste demeurant : 43 rue de la Brugère à Paris ? La question demeure.
On peut se reposer la question pour le dénommé Moïse, à savoir s’il entreprit des travaux jusqu’à septembre 1900, date où Théodore Lassalle, s’intéresse à la mine de Baubertie. Ce dernier sollicita, en vain, une demande d’extension du périmètre de la concession sur le prolongement du filon car, comme précisé précédemment, le filon de Baubertie serait être le même que celui étant à peu de distance de Vèze, également Arsenical. Cette démarche de la part de Lassalle, correspond à une période où le filon de Vèze faisait l’objet d’une des demandes en concession. Trois années plus tard (1903), au moment de la construction de son usine d’Arsenic d’Auzon près de Brioude, la Compagnie Minière et Métallurgique d’Auzon, qui reprenait plusieurs gisements locaux de minerais Arsenicaux, envisageait également la reprise de la mine de Baubertie. Cette dernière était donc, depuis peu, vraisemblablement retombée dans une période d’inactivité.
Les choses sembleraient en rester là, jusqu’à la fin des années 1920, où le dénommé Chantezon, s’intéresse à son tour à la mine de Baubertie. Rappelons que la laverie métallurgique est, depuis longtemps, en état de ruine. Ce dernier repreneur poursuivit-il les travaux, avant qu’une fois encore, la mine soit à nouveau mise en adjudication, suite à un arrêté ministériel du 10 janvier 1929 ? Depuis cette date, plus rien ne semble se produire, jusqu’à ce que la concession soit finalement annulée le 12 janvier 1960. Son périmètre est donc, en principe, conformément à la loi minière, redevenu libre à la recherche.
Si nous décomptons les mois d’hiver où le pays est abondamment enneigé, où il est difficile d’accéder à la mine, en raison du mauvais état des chemins et où le gel provoque un arrêt prolongé de la roue à aube ainsi que celui des machines, la mine de Baubertie ne dut finalement que peut fonctionner, depuis le début des explorations commencées en 1834.
Lors de l’arrêt de cette mine, le Ministère des travaux publics voulut en connaître les causes, et Baudin fut alors chargé par le préfet du Puy-de-Dôme de se rendre sur place. L’inspecteur des mines fit aussitôt savoir au représentant de l’Etat ses difficultés rencontrées face à la météorologie, pour accomplir convenablement sa mission : il était tombé une telle quantité de neige qu’il ne put parvenir qu’au Mont du Cézallier. Baudin ajouta même à sa missive que ce pays était inhabitable.
Face à ces interruptions d’activité de la mine de Baubertie dues aux conditions climatiques, il faut ajouter deux bons mois durant les étés, pendant lesquels les ouvriers avaient pour tradition de déserter les travaux des mines pour engranger fenaisons et moissons. Il ne s’agissait pas de blé, dans ces terres montagneuses pauvres, mais rien qu’un peu d’avoine et quelques arpents de seigle, semé tôt et mûri tard. Les gerbes se glanaient sous les bras, le corps “cassé” rasant le sol, la tête courbée face au soleil. Nous voilà maintenant, à décrire une simple scène du travail campagnard, d’une dimension esthétique des célèbres œuvres “Les Glaneuses” et “L’Angélus” de Millet, ou encore celles des deux “Jules” Breton, “Les Glaneurs” et Veyrassat, “La Moisson”. Ensuite, on bâtait les gerbes de seigle avec force aux fouets du fléau. C’est à partir de ce seigle que l’on faisait du chaume pour couvrir les toitures, et ce serait de cette céréale que viendrait l’origine du nom Cézallier, dérivé du patois “Seijaveî”, autrement dit : terre de seigle.
Les plus anciens nous auraient dit qu’il n’était pas sans danger de consommer du seigle ergoté, car cette céréale était sujette à moisir assez rapidement, ce qui était un vrai désastre pour l’intestin. Elle a, aujourd’hui, disparu des montagnes du Cézallier. Ceci est dû d’une part au manque de renouvellement des semences, rendant ces céréales moins résistantes aux gelées et d’autre part, au fait que, petit à petit, la paille de seigle des toitures fut remplacée par de nouveaux matériaux , dont nous avons déjà parlés. “De la paille non plus, on en a plus besoin pour griller le cochon ! ”, finira par me dire, avec un brin d’humour, un jeune éleveur, qui se trouve justement propriétaire d’un extirpateur à déchaumer le seigle, laissé à l’abandon depuis plus d’un demi-siècle, dans un recoin de son champ, transformé, aujourd’hui, en herbage, afin de satisfaire des besoins de plus grande surface de prairies pour l’élevage. Hé oui, le “bonheur est dans le pré” pour ses braves “vachounnes”, surtout après un long hiver passé à l’étable ! Leurs clochettes donnent alors, avec les chauds rayons du soleil, le ton d’une agréable symphonie pastorale.
On y reconnaît des vaches de la race Montbéliarde, pour les agriculteurs qui font surtout une production laitière, mais aussi la race bovine Salers, à robe d’acajou qui domine toujours et qui reste, d’autant plus, la préférée des producteurs de viande, notamment pour l’élevage des veaux. “Une vache rustique, qui va bien avec le paysage ! ”, devait m’en dire, à juste raison et sans une certaine émotion, madame Angèle Pallut, de Baubertie.
Il est bien établi que le Cézallier est un pays d’estive pour l’élevage bovin depuis une période ancestrale, comme en attestent, par ailleurs, de nombreux “tracs” nom ancien des burons, abris circulaires à demi-souterrains recouverts de branchages. Leurs profondeurs étaient accentuées par un exhaussement des bords grâce à l’apport de déblais, que recouvrait une simple toiture faite de branchage, de mottes de terres ou de chaume. A trois cent mètres de Baubertie, autour du monticule de Chasal et sur le flanc Nord du Mont de Chanusclade, on dénombre une cinquantaine de ces anciennes cavités occupées à la période estivale, il y a plusieurs siècles, mais aussi, encore à la fin du XVIIIème, début du XIXème siècle. Il est certain que des investigations du mobilier archéologique, nous renseigneraient sur cette ancienne civilisation agraire.
Pour conclure à présent avec l’objet principal de la note : l’exploitation minière de Baubertie, soulignons que bien souvent, dans leurs premières années d’activité, les mines étaient plutôt préjudiciables à leurs fondateurs. Ceci était dû à l’achat du matériel, à la construction des bâtiments, aux mauvaises qualités et quantité des produits, aux difficultés de recherches souterraines et aux problèmes d’écoulement des substances minérales sur le marché. Toutefois, les spéculateurs de cette aventure minière pour l’Arsenic à Baubertie ne pouvaient que se prévaloir confiants face aux affirmations, résultats de longues et pénibles recherches, énonçant que cette mine était assurée d’un avenir de plusieurs siècles.
A ces propos, les “actionnaires” ne pouvaient qu’avoir le sentiment de faire une bonne affaire, d’autant plus que H. J. Borie jouissait d’une certaine notoriété par son ingéniosité dans les travaux du génie civil. Sans compter d’autres arguments toujours plus convaincants, relevés sur le petit imprimé, à savoir que le minerai Arsenifère était loin d’être abondant dans la nature et que jusqu’à ce jour, on n’en connaissait point de gîte en France ; de plus, l’on voyait chaque année surgir quelques nouvelles applications. Mais d’autres arguments apparaissaient aussi sur le fait qu’en 1815, les entrepôts de Paris recevaient à peine 200 quintaux de cette matière et pas moins de 3000 quintaux en 1836. Une question était même posée : “qu’arriverait-il, si à ce terme, la progression devait s’arrêter ? ”
En nous gardant bien d’une réflexion sociologique du contexte économique de la première moitié du XIXème siècle, rappelons, une fois encore, que la “Révolution industrielle” fut l’élément “moteur” de la France dite Moderne. On en avait, à présent, terminé avec les désastreuses guerres Napoléoniennes et mise à part la lutte pour la République, “le printemps des peuples”, le pays connaissait manifestement un “certain âge d’or” par la révolution des transports : sur terre avec le chemin de fer, sur mer avec les premiers bateaux à vapeur. De même, apparaissaient un certain bouleversement scientifique et technique, un certain progrès de la médecine avec l’identification des bactéries responsables des grandes maladies et de la sidérurgie avec la transformation à bon marché de la fonte en acier. La photographie et la machine à coudre faisaient leur avènement, ainsi que la mécanisation du travail agricole avec la faucheuse-moissonneuse, qui accomplissait le travail de cinq personnes. Pour cette nouvelle machine destinée à l’agriculture, se placardaient des affiches avec un slogan patriotique bien de l’époque : “La Française” où il était également mentionné qu’elle avait obtenu les premiers ers prix aux concours agricoles.
Les régions industrielles se créaient, de même des agglomérations naissaient de l’exploitation minière ou des grandes manufactures. Par la transformation des structures de production, les entreprises se reconvertissaient dans la fabrication de masse, surtout par le perfectionnement des machines et la diversité de leurs utilisations. On passait alors d’une industrie de produits premiers destinés aux besoins de la population à une industrie d’équipement. En plus, le fait que les villes et les campagnes se couvraient d’affiches publicitaires marquait ainsi les premiers assauts d’un “système” économique poussant à consommer.
Cette exaltation du progrès technique et industriel se proclame également en prodigieux spectacles dans les Expositions Universelles ; c’est aussi l’époque de l’Empire Colonial connaissant son apogée. L’action colonisatrice et les artisans de la “Révolution industrielle” ont été proprement dit l’affaire des marchands, la plupart vivant dans les villes et les ports, où ils se regroupaient dans le cadre des comptoirs ou celui des compagnies. Rappelons que, vers 1860, le commerce extérieur de la France apparaissait florissant et était la seconde puissance commerciale du monde après la Grande-Bretagne.
Cela dit, on se devait, à mon sens, d’étudier et de raconter l’existence de cette petite mine des montagnes à vaches du Cézallier ainsi que de son usine métallurgique dans son contexte socio-historique, en faisant obligatoirement, pour cela, un “petit clin d’œil pédagogique” dans le souvenir du riche patrimoine industriel et minier de la France. Une bien modeste exploitation minière qui eut, cependant, les honneurs d’être signalée dans le monde savant, et cela n’est pas rien, à une période où l’on se ruait par milliers sur les champs Aurifères du Nouveau Monde. Aujourd’hui, ses modestes vestiges sont le souvenir de notre histoire industrielle. Sa fonderie, en particulier, est un rustre monument défiant les outrages du temps, avec sa cheminée en pierres grises granitiques, toujours triomphante : elle semble ainsi œuvrer pour la mémoire. Elle nous fait même l’honneur de la postérité pour l’archéologie industrielle. C’est donc un élément de notre patrimoine architectural, de la grande aventure industrielle, du temps où elle commençait à imposer ses exigences économiques, à une période précédant le tournant du siècle, marqué par l’apparition d’une industrie nouvelle : “l’infernale... Automobile”.
Par son emplacement au cœur d’une contrée idyllique, aujourd’hui ouverte en simple décor au tourisme grand public, ou au mieux, au tourisme industriel, cette installation métallurgique persiste et reste à la fois une belle excursion “insolite” et la démonstration d’une mutation industrielle de l’espace rural, ici certes inachevée. Un joyau, dirons-nous encore, à la dimension de l’homme, dans l’immense essor que fut sa Révolution industrielle, son fait de vie, approprié à la conscience historique.
A présent, demeure seulement le gargouillement du Barthonnet ; le gémissement du soufflet, produisant le mugissement de la puissance du feu des fours, et le bruit des pillons se sont tus. La fumée de la haute cheminée n’indique plus la direction des vents, cela depuis maintenant cent soixante années. Depuis, la mine, en ne nourrissant plus les hommes, les épargne amplement. Aujourd’hui, à l’ère du troisième millénaire et des nouvelles civilisations, dans le fol enthousiasme des richesses matérielles et immatérielles, allant de la communication virtuelle que nous offre l’électronique au nouveau machinisme de la robotisation et aux enthousiastes du nouveau “colonialisme” qui s’ouvre à nous... le Cosmos, prodiguons plus que jamais, dans un retour réaliste à la nature, une pédagogie scientifique et historique de ces lieux de mémoires socio-économiques et industrielles, qui furent, qui sont et qui seront toujours, une “matérialité” de l’Humanité.
Guy PEGERE
Ancien Membre de l’Association pour
le Contact et l’Information en Archéologie Industrielle
BIBLIOGRAPHIE
et
REMERCIEMENTS
Pour cet écrit qui se veut une simple approche de l’interprétation des zonalités minéralogiques, je dois beaucoup à J.J. Périchaud, docteur en géologie, licencié ès sciences, ingénieur géologue Minier du B.R.G.M , Chef de la Mission Auvergne Velay de la Division Minière Massif Central, qui amicalement m’accorda en 1970 de “m’introduire” dans les locaux de l’antenne du B.R.G.M. de Massiac et m’informa, sur la mise en place des différentes minéralisations du district minier Brioude-Massiac. Qu’il en soit ici, avec mon meilleur souvenir, encore vivement remercié.
Jean-Jacques PERICHAUD, Les Gisements Métalliques du District, Brioude-Massiac (thèse 1971).
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Pierre-Christian GUIOLLARD, L’exploitation des Mines d’Or et l’Environnement, L’Echo des Berlines n° 42 année 1996.
Association pour le Contact et l’Information en Archéologie Industrielle, 5 Allée des Narcisses 78 120 Rambouillet.
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Pour la Concession d’Antimoine d’ANZAT-LE-LUGUET, se reporter à l’ouvrage de Christian VIALARON “ Une Mine d’Antimoine en Auvergne”, sorti sur les presses de l’Imprimerie ANCIENNE le Puy en Velay (1996).
Christian VIALARON, (1998) L’ARSENIC dans le Département de la Haute-Loire.
Jean-Charles ASSELAIN, (1984) Histoire Economique de la France du XVIIIème siècle à nos jours. Editions du SEUIL.
NB : Pour un regard plus approfondi sur le Pays Cézallier, on ne saurait trop recommander de se rapporter aux guides de randonnées de la collection CHEMINA, remarquables publications de référence sur les contrées du Massif central.
Mes plus vifs remerciements à Madame Angèle PALLUT, de Bosberty pour sa gentillesse et pour la mise à ma disposition des actes familiaux se rapportant à la mine de Bosberty. Mes remerciements également à son fils Daniel PALLUT, pour son meilleur accueil et pour ses précieux renseignements sur le terroir Cézallier et on amical remerciement à Fabien BOYER, pour la photographie de son arrière-grand-père et son frère, en petits ramoneurs.
* Jean Jacques FAUCHER, Conseiller Général de la Haute-Loire.
Article publié dans l'almanach de Brioude 2005 pages : 225